lundi 15 octobre 2012

Quand les murs racontent : LES PAPIERS PEINTS DE JOSEPH DUFOUR et l’invention d’un genre décoratif



Le mardi 25 septembre a eu lieu la Séance de rentrée de la Section orléanaise de l’Association Guillaume-Budé et qui a débuté par le traditionnel propos de notre Président.

Alain MALISSARD a fait d’abord un rapide compte-rendu de l’Assemblée Générale de l’Association qui a eu lieu à Paris au mois de juin dernier, ensuite le bilan de la saison passée, saison plutôt riche avec neuf conférences, dont six sur des sujets en rapport avec l’Antiquité, trois sorties théâtrales à Paris ( dont celle au Théâtre des Amandiers où une mise en scène  décapante  a revisité à la suite trois pièces de Sophocle: Les Trachiniennes, Antigone, Electre) et, au mois de juin dernier, la sortie littéraire de 3 jours dans le Bordelais avec “les 3 M”, Montaigne , Montesquieu et Mauriac, sortie qui a connu un franc succès. Après quoi il a brossé à grands traits le programme de la Saison 12/13 sous le signe de la diversité, où le théâtre sera encore largement représenté avec Giraudoux, Jean Vilar...et Molière, puisque, dans le cadre de notre partenariat avec le CDN, avant la représentation de Georges Dandin, Patrick Dandrey, professeur en Sorbonne, parlera du “Secret d’une comédie grinçante”.

Le sujet de la conférence qui a suivi : 
“Quand les murs racontent :
LES PAPIERS PEINTS DE JOSEPH DUFOUR
et l’invention d’un genre décoratif”
par Georgette PASTIAUX-THIRIAT  et Jean PASTIAUX
professeurs de Lettres
était pour le moins original, voire insolite, car on a peu l’habitude d’associer le nom d’un créateur aux revêtements de nos murs. Le papier peint- qui en réalité n’est jamais peint, mais imprimé à la planche a commencé à se répandre en Europe vers la fin du XVIIIe siècle, en même temps qu’ont progressé les techniques ainsi que le goût du bien-être, à l’époque des grands entrepreneurs comme J.H. Dollfus ou Oberkampf, pour ne citer que des noms célèbres. Or il y en a eu d’autres, sans doute plus modestes, et qui méritaient d’être réhabilités ;  c’est le cas de Joseph Dufour et s’il est aujourd’hui un peu mieux connu, c’est  grâce à G. et J. Pastiaux, qui s’intéressent à lui depuis 20 ans, ont créé un Centre de documentation et animé un Colloque en mai 2009 — avant de diriger un ouvrage collectif dans leur terre d’élection du Mâconnais : le village de Tramayes, chef-lieu d’un canton de Saône-et-Loire, non loin de Cluny et près du Saint-Point lamartinien.

G. Pastiaux retrace l’itinéraire de ce Louis-Joseph Dufour, né  en 1754 dans ce bourg agricole, fils d’un charpentier, orphelin de bonne heure, placé chez un oncle boulanger à Beaujeu, puis chez des officiers de justice — huissiers et greffiers où il fait son éducation “sur le tas” et, au moment de s’engager dans l’armée, a la chance d’entrer à l’Ecole royale de dessin de Lyon ;  ses dons artistiques vont sans doute se révéler dans  son futur métier de dessinateur en soieries. Mais au sortir de l’Ecole, en 1786, trois jeunes fils de famille fortunés lui proposent d’entrer dans une association en vue de fonder une  manufacture de  papiers peints, à l’instar de la mode anglaise. Ce projet a failli être ruiné par la Révolution, d’autant plus que J. Dufour, jacobin militant et franc maçon, a quelques ambitions politiques ; en effet en 93 il est commissaire, puis en 94 président de District à Lyon. Il échappera à l’épuration de 95, fort heureusement protégé par le député Jacques Reverchon, négociant en vins, qui lui proposera en 97 d’installer sa manufacture dans ses entrepôts de Mâcon, encouragé par le maire de l’époque, Jean-Adrien Bigonnet  soucieux de développer l’industrie et le commerce dans sa ville. Et, chance supplémentaire ! il épouse une jeune veuve, Joséphine Farge, fille de soyeux lyonnais qui lui apporte une jolie dot, ce qui lui permet de se lancer dans la réalisation des “tableaux-paysages” ou “panoramiques” qui feront sa notoriété.

En 1807 Joseph Dufour s’installe à Paris, au faubourg  Saint-Antoine, ”haut-lieu de la production artisanale et manufacturière de l’Ancien Régime”; le succès est immédiat et l’ascension rapide.  La Maison — devenue Dufour-Leroy en 1821   a acquis, à la mort de son fondateur, une renommée internationale ; elle exporte même au Nouveau-Monde.

De toute évidence, nous attendions des exemples et des illustrations ; ce fut l’objet de la dernière partie. Joseph Dufour  s’était rendu célèbre dès 1804 par le panoramique intitulé “Les Sauvages de la mer Pacifique” d’après un dessin de Jean-Gabriel Charvet inspiré par le troisième voyage du Capitaine Cook (que l’on peut voir au Musée des Ursulines à Mâcon) : une nature paradisiaque servant de décor à des créatures exotiques, heureuses et pacifiques... Les sujets antiques - chers au style Empire, comme Psyché et Cupidon (en réalité d’après un conte de La Fontaine avec des dessins de Gérard) constituent une autre veine; les grandes œuvres romanesques à succès ont  également inspiré Dufour qui avait des intentions esthétiques et morales affichées : Paul et Virginie, les Aventures de Télémaque et ce roman fleuve  de 1798 écrit par un  certain E. F. Lantier Les Voyages d’Anténor en Grèce et en Asie dont une scène de festin (faussement attribuée par Balzac au Télémaque) excitait la verve des convives de la Pension Vauquer.


Les Sauvages de la mer Pacifique

Une chose est sûre, c’est que le choix opéré par l’inventeur du panoramique reflétait le goût du public, et les œuvres littéraires évoquées faisaient partie de la culture de l’époque ; le papier peint pouvait sans conteste rivaliser avec les autres formes d’art. Et ce Joseph Dufour qui a été révélé grâce à la passion (et au talent) de Georgette et Jean Pastiaux restera un remarquable témoin de son temps ; de plus il a ouvert la voie à tout un style de décoration dont  nous reconnaissons encore aujourd’hui les qualités esthétiques.

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