lundi 4 octobre 2010

Séance de rentrée — Le voyage de Chateaubriand en Amérique

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Le jeudi 23 septembre a eu lieu la traditionnelle séance de rentrée qui a débuté par un hommage à l’une des grandes figures de notre section : Lionel MARMIN décédé le 12 août qui fut président pendant plus de 20 ans, de 1965 à 1989. Son successeur Alain MALISSARD, très ému, en présence de son épouse et devant une assistance recueillie, a évoqué sa personnalité et la place qu’il a tenue dans la ville d’Orléans. Arrivé d’Angers en 1956 pour assurer les fonctions de Secrétaire Général de la Mairie, Lionel MARMIN s’est impliqué aussitôt dans la vie culturelle de la cité, nouant de solides amitiés avec des hommes de valeur, comme Roger SECRETAIN, René BERTHELOT ou Jacques BOUDET. Succédant au Président-fondateur Germain MARTIN, il a fait connaître Budé au grand public, d’une part en appelant des conférenciers de renom, tels Pierre CLARAC, Fernand ROBERT, Pierre GRIMAL, Jacques LACARRIERE, le Recteur ANTOINE, Pierre-Aimé TOUCHARD ou Jacqueline DE ROMILLY, de l’autre en ouvrant l’éventail des sujets et des thèmes au profit d’un humanisme élargi. Sa grande curiosité, son éclectisme — et aussi le fait qu’il n’était pas un universitaire — ont permis à notre association de ne pas céder à l’élitisme, ni au conservatisme que l’on reproche parfois (et à tort ! ) aux défenseurs inconditionnels de la culture classique.

Alain Malissard a fait ensuite le bilan de la Saison écoulée : 9 conférences (la dernière étant “Rome et la Grèce vues pas Simone Weil” par Géraldi LEROY) un entretien sur la lecture (avec Alberto MANGUEL), une lecture animée (“L’Iliade et les femmes”) et la sortie littéraire de juin (Deux “déserts” en Yvelines Retz et Port-Royal, sous la conduite de Jean NIVET. La nouveauté a été “l’opération César” en collaboration avec le C.D.N., qui a permis aux budistes d’assister à la représentation du “Julius Caesar” de Shakespeare dans la mise en scène d’Arthur NAUZYCIEL.

Il faut signaler aussi quelques changements : le compte-rendu financier a été présenté sous la forme d’un tableau sur écran, travail de la nouvelle trésorière Élisabeth PORTHAULT, assistée de Madeleine SERRES chargée de la diffusion. À cette occasion, le Président a renouvelé ses remerciements à l’ancienne équipe : Pierrette MADÈRE et Pierre NAVIER — ce dernier ayant cumulé pendant plus de dix ans les fonctions de trésorier, d’archiviste et d’ingénieur du son.

Avant d’aborder la lecture du programme de la Saison 2010/11 (que les budistes découvriront, d’abord dans le nouveau bulletin dit “Budéscop”, et — pour les “branchés” de plus en plus nombreux  — sur la toile, dont le site local a été tout récemment rénové par notre précieux maître-toilier Claude VIVIANI), avec une certaine émotion, partagée avec tristesse par l’assistance, Alain Malissard a annoncé que le récent voyage aux États-Unis, le vingtième, était aussi le dernier… Une bonne nouvelle pour finir : notre section sera à l’honneur. France Culture, pour son émission “la fabrique de l’histoire” (d’Emmanuel Laurentin) dans le cadre de la Semaine sur la Culture classique, est venue interviewer le Bureau sur les activités de notre association locale (que l’on pourra écouter le mardi 5 octobre à 9 h 05…)
En écho à la conférence d’octobre dernier qui nous avait conduit vers une Amérique “à la romaine”, nous avons découvert en contrepoint la vision d’une Amérique antérieure, plus sauvage, plus exotique et sans doute plus poétique. Vision révélée par
Le voyage en Amérique de CHATEAUBRIAND
Notre guide a été
Marie-Hélène VIVIANI, professeur de Lettres honoraire
qui a souligné d’emblée l’importance de ce voyage, tout compte fait assez court, puisqu’il a lieu du 7 avril 1791 au 2 janvier 1792, mais qui a marqué toute son œuvre et dont le récit va constituer son “chant du Nouveau Monde”.

Dans un premier temps ont été analysées les raisons qui ont motivé ce voyage : la première est d’ordre politique. Après avoir eu quelque sympathie pour les idéaux de la Révolution, le jeune vicomte François-René est vite horrifié par les exactions de juillet 89 et songe immédiatement à l’exil. La seconde raison est d’ordre économique : obscur cadet de Bretagne sans fortune, avec sa maigre solde de sous-lieutenant et ses dettes de jeu, et en même temps fils de corsaire marqué par sa jeunesse malouine, il se sent attiré vers les pays neufs. Une rencontre sera décisive, celle avec M. de Malesherbes, l’ami de Rousseau et des Encyclopédistes qui lui parle de l’Amérique, lui fait lire Bernardin de Saint-Pierre et l’Abbé Raynal, l’encourage dans son “rêve américain” : celui de découvrir le passage du Nord-Ouest entre Atlantique et Pacifique et va même l’aider à préparer son itinéraire.

Le 8 avril 1791 Chateaubriand embarque de Saint Malo sur un brigantin de 160 tonneaux — la traversée ayant été payée par son frère Jean-Baptiste — en direction de Terre-Neuve, exactement à l’île de St Pierre qu’il atteint le 23 mai.

C’est alors que M.H Viviani aborde le second point — crucial et sujet à controverse : comment distinguer la fiction de la réalité dans le récit du Voyage en Amérique ? A-t-il réellement vu la terre américaine qu’il décrit? Question que posait déjà Raymond Lebègue en 1965… et qu’avaient dû déjà poser certains des lecteurs de 1830 parfois réservés sur la sincérité de l’auteur… Nous avons eu sous les yeux une carte de l’Amérique où trois itinéraires étaient indiqués : l’un certain, un autre probable, un troisième incertain. La vérité est que Chateaubriand relate ses pérégrinations 35 ans après, sans avoir tenu de journal, qu’il mêle à des souvenirs lointains des impressions subjectives et de nombreuses lectures des voyageurs qui l’ont précédé et qu’il a amplement compilées. S’il a a réellement partagé quelque temps la vie d’une tribu indienne, s’il a vu les chutes du Niagara, peut-être les rives de l’Ohio, en tout cas il n’a pas vu celles du Mississippi, ni la Louisiane. Mais il a bien ressenti la présence des “déserts américains, la nature vierge des forêts, des lacs, des fleuves et des savanes” — impressions majeures qui vont fournir “la matrice des œuvres inspirées par l’Amérique”.

M.H. Viviani a ensuite passé en revue les souvenirs recomposés de ce voyage initiatique ; on peut, entre autres, retenir la fameuse visite de Chateaubriand à Washington : a-t-elle eu réellement lieu ? Certains témoignages l’infirment ; de toute façon, l’écrivain en montre une image symbolique, et conforme à son orgueil. Un autre exemple : son expérience de la vie sauvage chez les Indiens Onondagas. Il constate honnêtement que “l’état de nature”, même si celui-ci inspire des scènes charmantes, s’est sensiblement dégradé ; il le raconte avec humour dans l’épisode inattendu de ”Monsieur Violet, maître de danse chez les Iroquois”. Cela dit, la beauté de la nature l’emporte sur tout et c’est le message que l’écrivain veut faire passer dans les ouvrages inspirés par son séjour outre-Atlantique, d’abord dans Atala, roman sentimental qui vaut surtout par la description d’un décor édénique, et dans Les Natchez, histoire d’une tribu qu’il a effectivement rencontrée, dont il relate la vie quotidienne, dont il vante l’hospitalité, sans parler de la beauté des femmes indiennes auxquelles il ne peut rester insensible.


Notre guide se devait d’évoquer, pour conclure, la postérité de ce Voyage en Amérique. Les lecteurs de 1830 ont fait le succès d’Atala et des Natchez (intégrés au Génie du Christianisme). Cependant Chateaubriand n’est pas que le chantre de l’exotisme et du pittoresque, il est aussi le témoin de la naissance d’une nation ; il a fort bien vu la nouveauté du gouvernement démocratique des États-Unis, l’essor de leur technologie, tout en dénonçant les dangers de la colonisation et les futurs problèmes liés à l’esclavage : en somme il a annoncé Tocqueville. Et, de nos jours la reconnaissance des qualités de l’écrivain sont unanimes. “Qui n’a pas été séduit par la voix du barde exaltant la nature américaine, comme s’il avait donné naissance au premier matin du monde ? “…

S’il est vrai que l’on peut prendre Chateaubriand en flagrant délit de mensonge — et les critiques ne s’en sont pas privés — cela ne changera rien de son génie. Et pour montrer qu’il a su “mêler fiction et réalité pour nous procurer un des plus grands plaisirs de lecture qui soient”, M.H Viviani a lu in fine ”le beau spectacle d’une nuit dans les déserts du Nouveau Monde”… L’assistance écoutait dans le silence “les roulements solennels de la cataracte du Niagara”… captivée par les rythmes de la prose impeccable du Grand Sachem du Romantisme.
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