mardi 24 décembre 2013

Hannibal contre Carthage ?

.
Le mardi 7 décembre, en avant-première de la représentation d’HANNIBAL, pièce de l’allemand Christian Dietrich GRABBE (1801/1836) dans une mise en scène de Bernard Sobel - représentation programmée par le CDN en collaboration avec l’ATAO, notre président Alain MALISSARD a tenu à raviver nos souvenirs de l’Antiquité dans une conférence intitulée
Hannibal contre Carthage ? 
dont le titre, malgré le point d’interrogation, était pour le moins provocateur. 

Il faut avouer que tout le monde avait peu ou prou mésestimé la rivalité entre deux personnages influents - Hannibal et Hannon, entre deux grandes familles de la cité fondée, selon la légende, par Didon. Cette rivalité constitue la trame de la pièce de Grabbe, nettement plus centrée sur les effets dramatiques que sur la vérité historique - parfois même un peu malmenée. 

Alain Malissard - que Jean NIVET a présenté en déclarant que ”rien de ce qui était romain ne lui était étranger” - a tout d’abord évoqué la situation à Carthage au sortir de la Première Guerre Punique : dans cette cité-état, le pouvoir est disputé entre deux clans dont le plus connu est celui des Barca. Le chef de clan Hamilcar Barca a d’un premier mariage trois filles : la première épouse Bomilcar, la 2e Hasdrubal le Beau, la 3e gagne la célébrité littéraire (c’est Salambô) et symétriquement d’un second mariage trois fils : Hannibal, c-à-d. le favori de Baal, Hasdrubal II et Magon, tous les trois partisans d’arrêter au plus vite l’expansion romaine. En face de ces “faucons”, les membres du clan Hannon font figure de “colombes”; ces oligarques de vieille souche, conservateurs, grands propriétaires (comme d’ailleurs les Barca) veulent négocier une paix équitable et surtout étendre leur hégémonie sur l’Africa (c-à-d. le Maghreb actuel). En -241, après la bataille navale des Îles Aegades remportée par les Romains, Carthage demande la paix qu’Hamilcar négocie contraint et forcé. Comme dit si bien l’exemple de grammaire inspiré de Tite-Live “Sicilia amissa angebat Hamilcarem” (la perte de la Sicile angoissait Hamilcar). Mais le général carthaginois a d’autres soucis: il est obligé de réprimer sur place la révolte des mercenaires en menant pendant 5 ans la “Guerre inexpiable” ; il ne peut empêcher la conquête de la Sardaigne par Rome à partir de -239. Cependant les Barcides restent en position de force. Le Sénat carthaginois, soucieux de chercher une autre zone d’influence, confie à Hamilcar le soin de conquérir l’Espagne du sud afin d’exploiter les mines d’or (pour payer le tribut à Rome) Ce dernier s’y installe de -237 à -228, date de sa mort ; c’est son gendre Hasdrubal dit le Beau qui lui succède et fonde Carthago nova, autrement dit Carthagène, juste avant d’être assassiné. C’est alors qu’Hannibal entre en scène, plébiscité par l’armée ; il a à peine 25 ans, la haine de Rome chevillée au corps et un charisme hors du commun. La prise de Sagonte, l’alliée de Rome, va le consacrer comme chef de guerre et comme stratège incomparable.

Cet événement de l’année -218 marque le début de la Seconde Guerre Punique, que les historiens appellent la “Guerre d’Hannibal”. Les budistes - dont la plupart  avaient suivi à l’UTL le cours d’histoire romaine d’Alain Malissard - ont eu plaisir à écouter le récit de cette campagne militaire célèbre qui a mené les troupes carthaginoises et les cavaliers numides, accompagnés de 37 éléphants, depuis les rivages ibères jusqu’au fond de l’Apulie. Une campagne dont les batailles désignent à chaque fois la déroute des armées romaines : Le Tessin, La Trébie, Trasimène, Cannes. Le “chef borgne” est aux portes de Rome, mais, selon le mot trop connu de Maharbal, il ne sait pas profiter de la victoire. Les “délices de Capoue” marquent le tournant de la guerre : pendant que les troupes d’Hannibal s’enlisent en Campanie, celles d’Hasdrubal envoyées en renfort se font massacrer sur les bords du Métaure, le consul Marcellus prend Syracuse, libère la Sicile et les légions d’Espagne sous la conduite de Publius Scipion, après avoir regagné le terrain perdu, vont porter la guerre sur le sol punique. Hannibal, rappelé d’urgence ne peut que s’incliner à Zama en -202. Le jeune proconsul, auquel s’est rallié le roi numide Massinissa, a porté un coup fatal à Carthage, affirmé l’hégémonie de Rome sur la Méditerranée et gagné son surnom d’Africain.

A. Malissard nous invite alors à examiner de plus près cette période, pendant laquelle les Barcides toujours combatifs se sont opposés au clan Hannon, en comparant avec la situation à Rome, où les Aemilii et les Cornelii (autrement dit le cercle des Scipion) bellicistes et soutenus par le peuple s’affrontent aux Fabii fervents adeptes de la négociation. A Carthage, la rivalité entre les deux factions est lourde de conséquences : ainsi, pendant le siège de Sagonte (en -218) après l’envoi d’émissaires romains demandant l’arrêt du blocus en vue d’un traité, Hannon manifeste son appui aux Romains en critiquant ouvertement Hannibal ; quand Magon profitant du succès de Cannes, en -216, vient demander de l’aide, il essuie d’abord un refus, puis obtient satisfaction, mais trop tard et en pure perte ; lorsqu’Hannibal sera rappelé dans sa patrie en -203, il avouera “être vaincu, non par les Romains, mais par la malveillance du Sénat carthaginois”. Après la défaite de Zama, c’est Hannon qui négocie la paix avec des conditions désastreuses qui placent Carthage sous tutelle avec un tribut énorme de 10 000 talents, soit 50 millions de francs-or. Cependant Hannibal, soutenu par Scipion, garde une certaine influence ; élu suffète (l’équivalent du consul) il cherche à imposer une réforme financière égalitaire, au grand dam de la classe dominante carthaginoise qui serait prête à le livrer aux Romains. Il préfère s’exiler chez Antiochus III de Syrie, puis chez Prusias Ier de Bithynie, où il s’empoisonne pour ne pas tomber aux mains du légat romain Flamininus. C’est la fin de l’aventure : le parti des Hannon a gagné contre les Barca, dont le nom phénicien signifiait, dit-on, à la fois : “éclair” et “chance” (cf. la baraka)

Au moment de conclure, A. Malissard nous invite à réfléchir sur le destin de ce capitaine hors normes : est-ce un héros désintéressé en lutte contre le ”lobby” des marchands ? s’agit-il du conflit d’un chef ambitieux d’une part et des oligarques médiocres de l’autre? On peut aussi se demander quel aurait été le sort de Carthage si celle-ci avait toujours écouté les Hannon. Le changement aurait-il été si grand ? En effet, après Zama, Carthage a vite retrouvé la prospérité, au point de proposer à Rome en -191 de payer son tribut en une seule fois et même de continuer à lui fournir des vivres, comme au bon temps des échanges commerciaux. La paix aurait-elle été alors possible ? Les Romains  qui avaient vécu la plus belle peur de leur histoire avec cette rumeur : “Hannibal ad portas !” n’imaginaient pas le renouveau de cette cité rivale. La Troisième Guerre Punique était inévitable, et martelée par le célèbre “Carthago delenda est” du vieux Caton. Rien ne pouvait plus arrêter l’expansion romaine. En revanche, aucun vainqueur romain, même Jules César, n'a égalé la gloire du grand vaincu de Carthage.

-----


.

mardi 10 décembre 2013

Libraires et librairies en Gaule romaine


.
Le mardi 26 novembre les budistes venus en nombre ont été attirés à la fois par l’originalité du sujet :
Libraire et librairies en Gaule romaine
et par le renom du conférencier :
Robert BEDON professeur émérite à l’Université de Limoges

Dans sa présentation, le Président Alain Malissard, après avoir rappelé les travaux et publications de son invité (entre autres l’Atlas des villes et villages de France au passé romain), sans oublier son titre de Directeur de la revue Caesarodunum, a tenu à rendre hommage à un ami commun, Raymond Chevallier, disparu en 2004, professeur à la Faculté des Lettres de Tours  et connu notamment comme initiateur de l’archéologie aérienne en France (nous l’avions accueilli à Orléans par deux fois, en novembre 86 et en avril 89).

M. R. Bedon a déclaré en préambule avoir choisi un tel sujet en raison de sa nouveauté — parce que le territoire de la recherche était encore vierge, du fait de la rareté des sources au sujet de la Gaule. Dans un premier temps, il a dessiné un tableau de la présence du livre à Rome  dans l’empire, et aussi dans le monde hellénistique. Le livre — d’abord sous sa forme de “volumen” — est répandu chez les particuliers, puis dans les bibliothèques, privées ou publiques,  qui s’enrichissent par des dons ou des “recopiages”. On peut parler alors d’un véritable  activité professionnelle et donc d’un commerce du livre. Grâce à quelques mentions littéraires, dans Cicéron ou Aulu-Gelle, on connaît l’existence de “tabernae librariae” ou de “librariae”, qui jouent souvent à Rome un rôle de foyer culturel. En ce qui concerne la Gaule, si nous n’avons aucune indication précise sur les librairies, en revanche nous avons identifié les libraires. Au Ve siècle de notre ère, Sidoine Apollinaire les appelle “bybliopolae”, que nous traduisons par libraires. Pline le Jeune écrit dans une lettre adressée à un certain Geminus, alors gouverneur de la Lyonnaise : “Je ne pensais pas qu’il y eût des libraires à Lyon et qu’on y vendait “libellos meos” (“mes petits livres”, expression d’une évidente fausse modestie!)

R. Bedon a évoqué ensuite quelques pistes de recherche, comme l’archéologie, avec des photographies à l’appui. Témoin un des bas-reliefs de Neumagen (en aval d’“Augusta Trevirorum” = Trèves) aujourd’hui perdu, mais conservé dans un dessin du XVIIe qui représente un personnage rangeant dans des casiers des “volumina” (c'-a-d. des parchemins roulés) munis de “tituli” (des étiquettes). Document précieux, mais qui ne lève pas l’ambiguité : s’agit -il d’une bibliothèque ou d’une librairie ?  
         
Il propose alors d’interroger les textes : Horace (Odes, II,20), au siècle suivant, Martial (Epigrammes, passim) font état d’un commerce de librairie avec une rivalité entre Lyon et Vienne.  Il faut attendre le IVe siècle pour trouver à Bordeaux  une activité semblable avec la caution d’Ausone (310-395), maître de rhétorique, qui fut le précepteur de l’empereur Gratien. Au siècle suivant s’impose le nom de Sidoine Apollinaire (430-487) véritable écrivain officiel , panégyriste des empereurs, qui devint préfet de Rome en 468 et finit  comme évêque de la cité d’Augustonemetum, la future Clermont-Ferrand. Dans un texte datant de 465 ( Epistulae II,9) il parle d’“armaria exstructa bybliopolarum”, soit des hautes armoires des libraires, situées dans la salle de lecture de la villa d’un riche particulier près d’Alès. Un détail qui entretient la même ambiguité que dans les documents provenant de l’archéologie… D’ailleurs le statut du bybliopola a aussi sa part d’ambivalence : il est parfois traité de “mercennarius”,  voire  dans une autre lettre du même Sidoine Apollinaire, de “famulus”, un terme qui désigne le serviteur de la domus, ce qui impliquerait une condition d’affranchi. En réalité le bybliopola joue parfois le rôle d’éditeur ; il lui  arrive même de se déplacer à domicile. Ce qui est sûr, c’est que la plupart du temps il exerce un métier indépendant: il est vendeur de livres, et non copiste ni secrétaire.
          
Dans une dernière partie, R. Bedon s’est intéressé au public, c’est-à-dire aux utilisateurs de livres dans la Gaule romaine qu’on peut partager en trois groupes : ceux des bibliothèques privées, ceux des bibliothèques publiques, enfin le public des écoles. Dans le premier, qui appartient à une classe favorisée, une grande place est donnée aux ouvrages “classiques” grecs et latins (Homère côtoyant Virgile) On peut imaginer une telle bibliothèque dans les maisons cossues de Gaule, comme la villa maritime de la Rivière d’Etel dans le Morbihan- ce qui prouve que la romanité ne craignait pas la distance ! Un autre exemple: la très belle mosaïque représentant Métrodore le Jeune (un philosophe épicurien du IVe siècle avant notre ère)découverte à Autun. Cet “emblêma” révélait un propriétaire de grande culture, à moins qu’il ne s’agisse d’un parti-pris d’ostentation. Sénèque s’était déjà moqué de ces collectionneurs pour qui les livres ne servaient que de décor. Les bibliothèques publiques servaient aussi de lieux de rencontre pour les élites locales ; elles bénéficiaient souvent de généreuses donations, à la manière de celle que Pline le Jeune a faite à sa ville natale de Côme. Les vestiges conservés donnent une idée de ces monuments : ainsi à Nîmes, à la Fontaine — appelée à tort temple de Diane et à Avenches, l’Aventicum des Helvètes, près du lac de Neuchatel. Leur dispersion  laisse entendre que ces lieux de culture étaient fort répandus dans tout le monde romain. En revanche il reste peu de traces des boutiques des libraires dont certains n’avaient qu’une armoire près d’un pilier sous une  — ce qui les fait ressembler à nos bouquinistes des quais parisiens ; d’autres font penser aux colporteurs ambulants d’autrefois ; certains vendaient même des ouvrages d’occasion. Le livre, chez nos ancêtres les Gaulois, faisait l’objet d’une activité  — difficile à cerner du fait de la rareté des sources — mais bien réelle  et qui témoignait d’une vie intellectuelle authentique.

samedi 23 novembre 2013

Histoire du vin…

.

Comme la vigne et le vin intéressent de nombreux budistes, ainsi que notre récent "voyage littéraire en Bourgogne" en témoigne, leur sagacité a dû les conduire à écouter, cette semaine sur France Culture, l'émission "La Fabrique de l'Histoire" qui traitait de l'Histoire du vin.


Au cas, bien improbable, où certains d'entre vous, distraits par d'autres occupations, auraient oublié de suivre ces émissions (environ 52 min chacune), voici des liens pour corriger cette omission :




  • Balade dans le vignoble d'Argenteuil avec Hervé Bennezon, professeur d'Histoire-géographie à L'Isle-Adam et  Emmanuel Monteau, œnologue sur les vignobles d’Ile de France au XIXème siècle.


Un documentaire d’Emmanuel Laurentin et de Séverine Cassar. Au début des années 1970, les vignerons du sud de la France sont dans une situation financière délicate. L’intégration européenne fait entrer en concurrence leurs productions et celles de l’Italie, tandis que les accords signés à la fin de la guerre d’Algérie autorisaient l’importation de vins algériens. Cette crise économique se double d’une crise d’identité. Le Sud de la France se considère incompris du pouvoir parisien. Les revendications occitanistes prennent une telle ampleur qu’à partir de 1972 la région abrite un foyer de contestation important : le Larzac. C’est dans ce contexte, rappelant aux plus anciens la grande crise viticole de 1907, que renaissent des actions viticoles, créées à l’époque par le leader Marcellin Albert. Soutenus par la population, les vignerons passent à l’action, n’hésitant pas à affronter les C.R.S. et à plastiquer perceptions ou péages d’autoroute. Naissent alors des leaders viticoles (Emmanuel Maffre-Beaugé, André Cases, Jean Vialade, Jean Huillet) dont la parole fait descendre des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de Béziers ou de Montpellier. Les affrontements se durcissent tout au long des années 70 jusqu’à la manifestation du 4 mars 1976, qui fait deux morts, un CRS et un vigneron, à Montredon des Corbières. 
  • Avec Jean Huillet, Claude Marti, Rémy Pech, André Cases.


  • Valérie Boidron, auteur d’une thèse en ethnologie sur l'étude des vignerons qui ont réhabilité des cépages anciens, autochtones, oubliés… sous le titre "Culture vigneronne : vignerons, pratiques et ampélographie populaire".  
  • Mickaël Wilmart, ingénieur d'études à l'EHESS-Groupe d'archéologie médiévale.



  • Laurent Bouby, ingénieur d’étude au CNRS-CBAE, Montpellier.   
  • Matthieu PouxProfesseur d'archéologie gallo-romaine à l’Université Lumière Lyon 2
  • Fanette Laubenheimer, Directeur de Recherche émérite au CNRS
  • Jean-Pierre Brun, professeur au Collège de France. Chaire des Techniques et économies de la Méditerranée antique

Remarque : en suivant les liens ci-dessus, vous accédez à la page de chacune des émissions. Alors, cliquez sur le gros bouton rouge décoré d'une flèche blanche pour écouter l'épisode. 
.

lundi 18 novembre 2013

Entretien avec Vassilis Alexakis

.
Le mardi 8 octobre, à l’auditorium de la médiathèque, les budistes et sympathisants ont assisté à un
Entretien avec le romancier grec Vassilis ALEXAKIS
conduit par notre Président Alain MALISSARD

L’invité n’était pas un inconnu pour le public orléanais ; venu en effet il y a quinze ans, exactement le 13 novembre 1997, il avait présenté son œuvre romanesque sous le titre :
Ce voyage, Vassilis Alexakis l’a refait devant nous, avec de nouveaux détours et de plaisantes digressions, toujours en gardant l’allure spontanée d’une conversation libre, comme au IVe siècle avant notre ère, celle des disciples de Platon sous les portiques de l’Académie...

Jean Nivet, dans une présentation impeccable, a resitué le parcours de l’écrivain venu en France à dix-sept ans qui a “toujours vécu sa double culture comme un enrichissement et non comme un déchirement, établissant sans cesse des ponts entre ses deux patries”. Il a rappelé l’abondance et la variété de son œuvre (hésitant entre les termes de “roman” et de “récit”), citant Les mots étrangers, Après J.C. pour s’arrêter sur le dernier livre paru en 2012 intitulé L’enfant grec. Il a fait remarquer qu’en se fiant au titre, les lecteurs ont pu être quelque peu surpris, car, s’ils retiennent les allusions à l’Athènes d’aujourd’hui, ils constatent que tout se passe à Paris, au Jardin du Luxembourg, le “Luco” en automne (celui que décrivait Anatole France au début du Livre de mon ami). On y croise des êtres familiers, tels les sœurs qui tiennent le théâtre de marionnettes, ou Marie-Paule, la dame pipi, Ricardo le SDF, M. Jean, un ancien bibliothécaire du Sénat, mais aussi les héros de nos lectures, Don Quichotte, D’Artagnan, Cyrano, Robin des Bois, Tarzan ou encore Jean Valjean et Cosette, qui se mêlent à quelques personnages historiques ayant fréquenté le quartier, de Baudelaire à Lénine… Il faut y ajouter le narrateur, qui a des points communs avec l’auteur — devenu parisien à partir de 1968 après l’installation du régime militaire en Grèce. Invité par Alain Malissard à préciser l’image d’un écrivain “à double appartenance”, Vassilis Alexakis a répondu très simplement : “Ce sont les Colonels qui m’ont obligé à changer de langue. Après mes trois premiers romans rédigés en français, pour écrire le suivant (Talgo), j’ai été obligé de réapprendre le grec, sur le tas, à l’aide du magnétophone. Depuis j’écris deux fois mes livres, d’abord en grec, ensuite je les traduis moi-même, ce qui me pose souvent de sérieux problèmes de traduction ! “

V. Alexakis a abordé ensuite avec la même simplicité naturelle la grave question de la création romanesque ; il affirme écrire des romans plutôt que des récits, car le roman implique l’imaginaire, même s’il y entre une part d’autobiographie — et d’ailleurs “une autobiographie, dit-il, est souvent construite comme un roman”. Le but du romancier, c’est d’inventer une histoire — et d’en avoir conscience ; il avoue avec humour : “J’ai su très tôt en somme que la meilleure façon de raconter un événement, c’était de l’inventer”. Et d’ajouter: “Quel sentiment de liberté !”.

V. Alexakis s’est ensuite prêté de façon très naturelle au jeu des questions ; à la première portant sur la frontière entre le réel et l’imaginaire, il a répondu qu’en général elle n’existait pas, mais que pour sa part, il cherchait toujours un rapport avec la réalité. Un auditeur ayant remarqué la fréquence des citations dans ses livres, il a déclaré vouloir briser le rythme narratif, donner au texte une respiration et aussi, introduire une note humoristique ; ce qui peut contraster parfois avec des séquences plus graves (A. Malissard en a relevé une en particulier dans L’enfant grec : au petit théâtre du Luxembourg, la marionnette figurant la mort).

Au fur et à mesure des interrogations, notre hôte a apporté un éclairage sur la “fabrication” de ses livres : il cherche, dit-il, toujours à associer le lecteur à son travail de narrateur (le lecteur serait en quelque sorte présent dans la chambre où il écrit.) A l’œuvre linéaire, sur un thème unique, il préfère une œuvre bâtie sur deux axes, ou même sur deux sujets : par exemple, dans Avant J.C. il y a, d’une part une enquête sur la vie des moines du Mont Athos, de l’autre une réflexion sur le partage de la Grèce entre le monde antique et la religion orthodoxe, c’est-à-dire entre la liberté de la pensée philosophique et le dogmatisme étroit de l’Eglise byzantine.

La plupart du temps, ce sont ces deux orientations qui vont alimenter la trame romanesque et même imposer les personnages, à l’insu même du romancier qui, au départ, peut ignorer la fin de l’histoire ! Dans L’enfant grec on voit se dessiner deux grands thèmes : celui de la maladie, de l’immobilité et de la mort, de l’autre, celui du retour à l’enfance. Comme le dit si pertinemment un critique : “D’un jardin à l’autre, du Luxembourg à Kallithéa, quartier de l’enfance d’Alexakis, les personnages s’invitent et forment un pont entre la vie d’avant et celle d’aujourd’hui, un pont pour les exclus, élargissant du même coup le champ de ce roman à un monde bien plus vaste où la littérature est une terre sans frontières…”
.

mercredi 13 novembre 2013

Concert à Saint Marceau les 23 et 24 Novembre

.
Notre amie Monique BAGNESTE me prie de vous informer qu'un concert intéressant aura lieu à l'église Saint Marceau les prochains 23 et 24 novembre.

[Pour plus de précisions, cliquez sur l'affiche]


Alfred Desenclos (1912-1971) est un compositeur important du XXe siècle. Son fils Fréderic accompagne à l'orgue solistes et choristes de l'ensemble vocal Hémiole dirigé par Christian EYPPER. D'autres pièces complètent le programme (Esquivel, Palestrina, Duruflé, Arvo Part)
. 

vendredi 25 octobre 2013

La rentrée de Budé - Diderot et les peintres de son temps


Ce jeudi 26 septembre, la section orléanaise de l’Association Guillaume Budé accueillait ses membres et son public pour sa première séance de l’année.

Comme à l’accoutumée, le Président Malissard présentait un compte rendu des activités de l’année écoulée.
La section a organisé sept conférences mais la huitième, la rencontre avec Julia Kristeva, n’a pu avoir lieu après deux désistements consécutifs de l’écrivaine. Le partenariat avec le CDN a permis aux membres inscrits d’assister à trois pièces de théâtre (La Mouette, Six personnages en quête d’auteur, Georges Dandin) et à deux lectures. Le jubilé de notre secrétaire André Lingois fêté à l’issue de la conférence de janvier fut un moment fort et se prolongea en quelque sorte avec le voyage de trois jours (organisé par lui-même et Gérard Lauvergeon) dans sa chère Bourgogne.
La situation financière est stable, malgré la diminution des entrées aux conférences et une légère baisse des effectifs. Pourtant, cette année encore, les cotisations restent inchangées.
Le président donne alors les grandes lignes de la nouvelle saison, marquée par un retour à l’Antiquité. Ainsi, il y aura quatre conférences sur cette période  historique. Une autre portera sur la Première Guerre mondiale (Philippe Nivet), anniversaire oblige. Et deux autres seront consacrées à la littérature contemporaine (Claude Simon et Vassilis Alexakis). Une promenade littéraire de deux jours aura lieu en mai ou juin, consacrée à Ronsard.
La collaboration avec le CDN est renouvelée avec les pièces « Hannibal » de Grabbe, « Par les villages » de Handke et « Faim » de Knut Hamsun et avec une lecture tirée de l’Antigone de Sophocle.
Le bureau de la section s’est enrichi par l’entrée de deux nouveaux membres : Nicole Laval-Turpin au titre du secrétariat et Elodie Cechetti pour la communication. Le président remercie Claude Viviani pour tout le travail accompli : tenue du blog, diffusion des informations, enregistrements des conférences, etc. La salle ratifie en applaudissant chaudement notre maître toilier.

Le président donne alors la parole à Jean Nivet assisté de Nicole Laval –Turpin, de Marie-Hélène Viviani et d’André Lingois pour une lecture à plusieurs voix sur le thème : 
DIDEROT ET LES PEINTRES DE SON TEMPS,
en hommage pour le 300ème anniversaire de la naissance du philosophe.

Diderot, né à Langres le 5 octobre 1713, a laissé  une œuvre foisonnante, et dans celle-ci, le choix de Jean Nivet a été de montrer l’œuvre du critique d’art, à travers ses « Salons » dont il a assuré le compte rendu pour le périodique de Grimm de 1759 à 1781. Il s’y montre en effet dans toute sa spontanéité, dans tout son naturel et nous révèle  ses goûts et sa personnalité.
Sous la houlette du meneur de jeu, les peintures exposées lors de ces Salons  sont mises en regard des textes de Diderot les concernant, ce qui sollicite à la fois l’œil et l’oreille pour donner une grande cohérence au propos.
Diderot a été un critique souvent féroce (il invente le terme de « croûte ») même aux dépens de son ami Lagrenée, et il se laisse aller à son côté libertin à la vision de belles nudités  ou devant « La jeune fille pleurant son oiseau mort » de Greuze. Mais, au fil des Salons, il a acquis une réelle compétence en art, préparé à cette tâche par ses articles de l’Encyclopédie (sur le Beau notamment) et par la fréquentation des artistes. Balayant vingt années de production picturale française, il assiste au passage du « rococo » au néo-classicisme, de Boucher qu’il n’aime pas au jeune David qu’il admire.
Ses goûts le portent vers la peinture dite de « genre » pourtant moins considérée à l’époque que la peinture académique et, pour la réaliser il conseille aux peintres de quitter leur atelier pour observer la réalité et la nature. Il faut faire « ressemblant » et il est intransigeant sur les détails justes, le choix des couleurs, la composition.
Pour Diderot, la peinture doit susciter des émotions, faire appel à la sensibilité, « aller à l’âme par l’entremise des sens », même en acceptant la grande violence des batailles ou des tempêtes qui suggèrent l’horreur ou le pathétique. Le peintre lui-même doit être saisi par l’enthousiasme du métier, comme il le ressent à travers les paysages tourmentés de Joseph Vernet ou de Loutherbourg, préfigurant la peinture romantique.
La peinture doit aussi porter à la méditation et assumer un rôle moral, à l’instar de son théâtre, d’où son admiration pour Greuze et ses tableaux comme « Le fils ingrat » et « Le fils puni ».
Le grand mérite de Diderot est d’avoir perçu, à partir des années 1770, que l’avenir de la peinture se trouvait dans la propre vision du peintre : « votre soleil n’est pas celui de la nature ». Il accepte que la couleur et le rendu de la lumière priment sur le dessin et sur le sujet du tableau. Et Chardin lui révèle, dans ses natures mortes, une nouvelle manière de peindre, « la manière heurtée », abandonnant la fusion des teintes pour des couleurs franches. Diderot a donc su voir toute l’originalité de ce peintre, notamment dans sa « Raie dépouillée » qui annonce les techniques reprises au XIX° siècle.
Il ressort de cette remarquable contribution à quatre voix soutenue par la projection d’une cinquantaine de tableaux que Diderot a été un immense critique d’art et qu’il a eu un regard « très moderne », se libérant  du « Grand Goût » de l’époque et anticipant les évolutions futures de la peinture. C’était lui rendre un bel hommage.

- - - - -

Je signale que le Musée des Lumières Denis Diderot a été inauguré à LANGRES le 5 octobre 2013 (ouverture au public fin 2013) dans un très bel hôtel particulier rénové du XVIIIe siècle. Y figurent dans une salle consacrée aux « SALONS » des toiles dont Diderot a rendu compte.


.

vendredi 27 septembre 2013

Bouillon, vous avez dit bouillon…

.
Vous avez dû remarquer sur nos affiches présentant l‘entretien avec Vassilis Alexakis, la mention « en partenariat avec Le Bouillon, Centre Culturel de l’Université d’Orléans ».


Qui est donc ce Bouillon ? Il est situé à La Source pas très loin de la résurgence du Loiret, dont la source principale est appelée le Bouillon.






Mais celui qui nous intéresse est un bâtiment installé sur le campus d’Orléans, à l’arrière de la faculté des Lettres. C’est le Centre Culturel de l’Université d’Orléans. Il réunit un théâtre (160 places), pouvant accueillir des spectacles de théâtre, de danse, des concerts de musique classique, de musique contemporaine, des projections cinéma, des rencontres littéraires et une salle de concert (180 places). Ouvert depuis le 29 septembre 2011, ce Centre accueille les étudiants et les personnels du l’Université. Les spectacles qu’il propose sont aussi ouverts aux gens de l’extérieur, donc à nous tous (dans la limite des places disponibles).



Ainsi, la saison dernière, le grand musicien baroque, Jordi Savall, s’y est produit (4/2/2013). Certains budistes ont assisté, le 10 avril 2012, à une rencontre avec Julia Kristeva, animée par Yasmin Hoffmann qui, notons-le, a quitté les bords de Loire pour enseigner dorénavant à l’université de Montpellier, bonne chance Yasmin pour la suite de ta carrière…



Durant le premier trimestre universitaire, si l’on excepte les musiques appréciées des étudiants mais un peu éloignées de mes pôles d’intérêt, j’ai relevé parmi les propositions du Bouillon :



du théâtre : Une vie de pantin (15 oct.) par Bath’art, l’association théâtrale étudiante de l’université d’Orléans et Une vie d’opérette (26/11), un spectacle musical,



une conférence-débatRévolte des étudiants chiliens, (22/10) à l’occasion du 40e anniversaire de du coup d’état et de la mort de Salvatore Allende



des projections :

  • Le Ruban blanc film de Michael Haneke (5/11)
  • The Perfect American, un opéra de Philip Glass sur la fin de vie de Walt Disney (12/11),
  • JFK, film d’Olivier Stone (27/11), précédé d’une rencontre avec l‘historien Thierry Lentz
  • Tannhaüser (10/12) de Richard Wagner


De la danse :

  • Versus 8.4, de Guillaume Bertrand, Cie 13 Quai
  • Sad Songs, de Thierry Baë, Cie Traits de ciel

Vous pouvez prendre connaissance de l’ensemble des activités prévues en vous rendant sur le site web du Bouillon. Vous pouvez aussi télécharger la brochure trimestrielle du Bouillon : c'est par ici.
.

dimanche 22 septembre 2013

Catherine Martin-Zay, officier de l'ordre des Arts et des Lettres.

.
Il est 15 heures. Le vendredi 5 septembre 2013 s’étire dans la chaleur moite d’un après-midi saturé de soleil. Nous gagnons le centre ville d’Orléans. Au débouché de la place de Gaulle s’ouvre la rue Notre-Dame de Recouvrance qui descend doucement vers la Loire, belle flâneuse que la ville porte en écharpe fluide et douce.

Quelques badauds, dont nous sommes, tournent autour de la vitrine claire du numéro 57, comme en attente d’un évènement. C’est une adresse bien connue des Orléanais, de ceux qui aiment retrouver l’un des pôles culturels qu’offre la ville ligérienne. Il attire les amoureux de la littérature et des échanges, en toute liberté de parole.  

C’est au rez-de chaussée de cet immeuble, que Catherine Martin-Zay, choisit, en 1964, d’ouvrir une librairie qu’elle appela « Les Temps modernes » en hommage à la revue fondée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, ces « monuments » des Lettres, toujours très visités. 

Dans ce lieu aussi lumineux qu’exigu, les livres montent au plafond, se nichent dans le moindre recoin. Ils s’imposent aux regards, nous toisent du haut de leurs rayonnages ou se prêtent simplement à la caresse d’une main amicale et curieuse. 

Depuis 50 ans « Jubilé ! Jubilons ! » Catherine, de longue date adhérente de notre association, fait vivre sa librairie, avec l’exigence, l’énergie et l’allant de qui connaît parfaitement son domaine auquel elle prête son beau visage-palimpseste, ouvragé par le temps, sculpteur de nos passions.

L’effervescence se propage dans l’allée centrale bientôt surpeuplée, porte ouverte sous l’arcade ombrageant  les amis et clients qui ceinturent en grand nombre, les vitrines du magasin. Journée particulière pour notre amie libraire. Une mise à l’honneur, un jour de gloire couronné des lauriers de la République ! puisque Catherine Martin-Zay reçoit aujourd’hui les insignes d’officier des Arts et des Lettres, des mains de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti.




À l’heure dite, la haute silhouette sportive de la très médiatique ministre, franchit le seuil, se fraye un passage, cernée de toutes parts par les VIP, personnalités politiques et culturelles de la ville d’Orléans. Très à l’aise au cœur de ce public de lecteurs qui pourraient être les siens car elle est romancière en plus de ses fonctions ministérielles.      

Le silence s’est fait pendant que se déroulent les phrases d’un discours de circonstance fort bien ordonnancé. La sonorisation prévue porte la parole in et off de l’espace librairie bruissant de vie. « L’œil écoute »


Premier hommage à Jean Zay, le père de Catherine. Ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, il fit beaucoup pour diffuser la culture, pour  tendre vers ce qu’il appelait « son  idéal démocratique ». Fidèle à la tradition paternelle, sa fille concrétisa  ses idées avec l’ouverture de la première librairie indépendante d’Orléans, forte de son identité particulière. Place aux livres de « belle et grande littérature », « patrimoine de la nation de l’esprit » rappelle Mme la ministre, citant Alfred de Vigny. Ses propos soulignent le rôle de passeur d’intelligence qu’a joué Catherine, pendant 50 ans, attentive à toute forme de nouveauté littéraire quand celle-ci sait allier l’exigence d’une pensée avec l’art du styliste. Puis l’oratrice salue la ferveur de son engagement militant au service des Lettres et des Arts, avant de clore son allocution.



Au prix de quelques contorsions, je peux apercevoir Catherine que la République a choisi d’honorer en ce jour de septembre. Vêtue de blanc, telle une vestale antique, elle nous semble la gardienne d’un Temple, vouée au dieu de la littérature qu’elle sert toujours avec la flamme de sa conviction. Je la vois qui pose en toute simplicité, fine statuette de Tanagra que la Messagère culturelle épingle bientôt de la médaille d’officier des Arts et des Lettres. Bravo !

Catherine alors s’anime pour répondre au discours ministériel. Sa voix s’élève maintenant dans un silence quasi religieux. L’émotion gagne certains d’entre nous qui la connaissons bien. Remerciements chaleureux à tous ceux qui l’ont aidée dans sa mission de service public. Rappel du passé, souvenirs de la petite enfance à Riom où elle retrouvait fugitivement son père apprenant, comme lui, à lutter contre l’adversité, telle la Chèvre de M Seguin, qu’elle fait surgir près d’elle, le temps d’évoquer son combat acharné de résistante aux forces du mal. Nous la suivons dans le déroulement des étapes de sa vie ; son arrivée à Orléans, la découverte du prestigieux passé de la ville où elle s’insère et prend place en donnant aux Livres une maison à vivre et «commercer» avec la clientèle qu’elle fidélise grâce à des activités ciblées qui animent sa librairie « Bouillon de culture ». J’aperçois, près d’elle, sa sœur Hélène, elle-même témoin de son temps avec la fondation du CERCIL, en ville d’Orléans. 

Catherine évoque ces temps de rencontres inoubliables avec les auteurs qu’elle convie régulièrement dans son pré-carré du partage, tant hier qu’aujourd’hui, puis elle dévide un chapelet de noms d’écrivains, tous « ces travailleurs intellectuels » dont les ouvrages, les photos, les posters vivent sous nos yeux, façonnant la personnalité de cette librairie « atypique » où le livre n’est pas simple gadget soumis aux modes mais source de vie.

Avant de clore son discours, Catherine présente la nouvelle directrice de la  maison, sa fille Sophie épanouie auprès d’elle, déjà projetée dans une galaxie nouvelle toujours peuplée d'ouvrages en quête de lecteurs. Fidélité ! Beauté de la transmission familiale !  

Il me plaît de retrouver le timbre de sa voix, la scansion douce et nette de son phrasé. Nous sommes suspendus à ses lèvres, heureux de l’hommage rendu à « notre Dame Catherine » fiers d’être de ceux qui hantent sa librairie, vont, viennent, discutent, montent les escaliers pour envahir l’espace d’en-haut, rempli de lumière. Je l’imagine au cœur de son activité quasi hebdomadaire. 

Catherine devient  l’« Arthenice des Temps modernes », le jour où elle reçoit l’invité(e) du jeudi, dans sa « ruelle » du premier étage. Les amateurs ont ainsi rendez-vous avec les auteurs, poètes et romanciers, peintres, artistes, théoriciens et philosophes que l’on rencontre « sur le vif » le temps d’un rendez-vous qu’on savoure avec le plaisir gourmand des amoureux de la vie dans tous ses états.   

Chacun prend place cahin-caha dans un joyeux fouillis de tabourets et de chaises ( très demandées) dans le brouhaha des « flashs « de conversations qui préludent à la présentation de la personne invitée. Nous aimons ces heures lumineuses, les échanges, les controverses, les feux de l’esprit qui étincellent autour d’une lecture qui nous échauffe la tête et le coeur. On se dit qu’on a retrouvé le temps perdu à je ne sais quoi et «recouvré » la santé mentale avec l’art de la conversation. L’on se sent accueilli dans cette maison du 57 rue de la Recouvrance la bien nommée car elle soigne notre mal de vivre.




Pour toutes ces raisons, pour la passion vécue,
Chère Catherine , 
« Grâce vous soit rendue ».
Écouter la cérémonie
[Cliquer sur les photos pour les agrandir]
.

samedi 31 août 2013

Daniel Cuisiat nous a quittés

.
Le bureau de l'association Guillaume-Budé a la tristesse de vous faire part du décès survenu le 22 août de Daniel CUISIAT, professeur honoraire de classes préparatoires au Lycée Pothier, et fidèle membre de notre association depuis son arrivée à Orléans en 1973. Agrégé de Lettres classiques, docteur d'Université, Daniel Cuisiat s'était fait un nom parmi les seizièmistes en publiant en 1998 chez Droz dans la collection Travaux d'humanisme et Renaissance les "Lettres du Cardinal Charles de Lorraine". Il nous avait d'ailleurs présenté ce  personnage hors du commun dans une brillante conférence qui inaugurait la saison 2003/2004. Les collègues, les élèves et tous les budistes gardent le souvenir d'un homme ouvert, accueillant, d'une grande  simplicité.


Notre plus ancien secrétaire, qui le connaissait de longue date, avait tenu, lors de la cérémonie funèbre, à dire ces quelques mots à titre amical : 


Ce n’est pas le collègue, le professeur, l’historien que je veux évoquer devant vous, mais tout simplement l’ami. Et c’est en mon nom personnel que je vais, cher Daniel, te dire adieu ; cependant j’espère que tous ceux qui ont eu la chance de te connaître m’accompagneront dans cet adieu, même si les souvenirs que je voudrais rappeler ont leur part d’intimité.


Cher Daniel, je te connaissais déjà avant de t’avoir rencontré. En effet je suis arrivé au CPR de Dijon juste un an après ton passage, mais je peux dire que tu étais encore très présent. Mon maître de stage, qui fut le tien (je veux nommer Guy Grand, un homme dont la personnalité ne laissait personne indifférent) parlait de toi avec enthousiasme; il avait même en quelque sorte pressenti tes travaux futurs: il ne s’était pas trompé. A Reims, tu as rencontré la figure emblématique du Cardinal Charles de Lorraine auquel tu as consacré ton grand œuvre.


Le hasard — que je préfère appeler la chance — a voulu qu’Orléans soit le lieu où nous avons fait réellement connaissance et où nous avons tissé des liens d’amitié, renforcés par nos rencontres dans une association dont l’emblème est l’oiseau d’Athéna, et qui a su allier la culture antique et l’ouverture au monde. Ensemble, nous avons été conduits à faire (et à refaire) le “pèlerinage aux sources”: en Grèce, en Attique et dans le Péloponnèse, dans les musées d’Athènes comme dans les vieilles rues de Monastiraki, à Pylos et dans le Magne laconien, dans l’ile de Kéa, pour admirer” l’archaïos léôn”, et jusqu’en Crète, et au fond de la Crète, dans une bourgade reculée du Lassithi. Nous garderons longtemps l’image de cette taverne,  où tu as retrouvé une de tes anciennes élèves de la khâgne du Lycée Pothier, tellement conquise-grâce à toi- par la langue d’Homère qu’elle s’était éprise d’un jeune Hellène au profil minoen. Ce fut un moment très émouvant…


Au-delà de cette culture classique qui nous a été inculquée par nos vieux maîtres lors de nos classes d’“humanités” , comme on le disait du temps d’Anatole France, nous avons eu tous les deux un lien profond avec ce qu’on appelle le terroir, c’est-à-dire le paysage, le sol, les produits du sol. Et, sans parler de la vieille alliance entre le Duché de Bourgogne et la Comté (devenue Franche), nous allons trouver des éléments qui nous rapprochent. Mon terroir, c’est la “Côte”— sans épithète, une longue colline vineuse qui s’étire de Dijon à Cluny, et, en son milieu, un finage limité à quelques noms évocateurs. Pour toi, Daniel, le terroir, c’est la Côte du Jura, le Revermont, qui suit à peu près une ligne nord/sud allant de Dôle à Bourg-en-Bresse. Et au milieu de ce Revermont, c’est-à-dire le Revers du Mont, il y a ton village éponyme, joliment situé entre Coligny et Treffort, deux bourgades aux clochers jurassiens en forme de dômes, avec de belles fontaines et quelques vieilles maisons vigneronnes cossues. Le vignoble a disparu depuis longtemps et, pour le retrouver, il faut remonter vers le nord, sur Voiteur et surtout Château-Chalon accroché à sa falaise. J’en parle, mon cher Daniel, parce que c’est un peu le symbole du Jura et surtout parce que tu m’as fait apprécier son vin. Car tu l’aimais comme tu aimais la vie et en ce moment si rempli de gravité et de tristesse, je voudrais que tout le monde garde le souvenir d’un homme vivant, plein de sensibilité, de gaieté et de ferveur.


Aussi je souhaite m’arrêter sur une dernière image, dans un tout autre lieu, que tu aimais également , sous un climat plus ensoleillé : je veux parler de ta thébaïde sur les hauts plateaux du Var, dans un paysage digne des romans de Giono. Nous marchions sur un sentier le long des champs de lavandes , vers le Prieuré de Valmogne et nous parlions… peut-être de Giono justement. Tout ce que je sais, c’est qu’il me reste de ce moment une impression de douceur, de plénitude et en un mot de bonheur. Et ce petit instant intemporel de bonheur, c’est à l’amitié qu’on le doit…


Cher camarade, je pense que tu n’aimerais pas trop les effusions lyriques. Mais, comme je l’avais affirmé il y a bien longtemps : 
“Daniel, tu es encore très présent parmi nous.”


André LINGOIS

.