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Le jeudi 25 octobre la Section orléanaise de l’Association Guillaume Budé avait invité
Mauricette BERNE et Guy TEISSIER
pour parler de :
JEAN GIRAUDOUX ET L’ANTIQUITE
Mauricette
BERNE, conservateur honoraire des Bibliothèques, spécialiste du fonds
Giraudoux à la BNF est Présidente de la fondation Jean et Jean-Pierre
Giraudoux ; Guy TEISSIER, professeur honoraire à l’Université Descartes
de Tours a collaboré à l’édition des œuvres de Giraudoux dans la
collection de la Pléiade ; de plus ils ont écrit ensemble un livre
remarqué Les vies multiples de Jean Giraudoux paru en novembre
2010 aux éditions Grasset : pouvait-on trouver guides plus sûrs pour nous
accompagner dans l’univers giralducien ?
Nous avons suivi dans un premier temps l’itinéraire du jeune lycéen — celui qui a pour double le héros de Simon le Pathétique — dont l’innutrition (pour reprendre le terme que Faguet appliquait à Du
Bellay et à Ronsard) par la culture antique a commencé dès la classe
de cinquième avec une composition française intitulée “le gladiateur
mourant” ; un peu plus tard, en classe d’humanités, il écrit des
variations sur Plutarque; en rhétorique, il s’exerce à imiter un
dialogue de Platon. A sa sortie de la rue d’Ulm, il déclarera avec un
peu d’exagération que l’Université ne lui avait appris que le pastiche.
En réalité, Giraudoux, comme les grands musiciens, se plaît à
multiplier les variations sur les œuvres majeures, à commencer par les
récits homériques. Ainsi du Chant X de l’Odyssée, il ne retient qu’un
personnage épisodique, effacé, couard, et qui, dans son ivresse, se tue
en tombant de la terrasse du temple de Circé : c’est Elpénor, héros — ou
plutôt anti-héros — du roman éponyme, dont la première rédaction date de
1919, version burlesque de l’épopée. Plus tard il l’enrichira, par
exemple en inventant de nouveaux épisodes, comme ce concours de poésie
où Elpénor gagne contre Apollon, mais heureusement sans subir le destin
tragique de Marsyas.
Giraudoux
est alors parvenu à dépasser le jeu du pastiche et de la parodie ; il
peut se mesurer aux grands mythes ; mais c’est au théâtre qu’il va les
retrouver, et notamment grâce à sa rencontre avec Louis Jouvet en 1927,
lequel va mettre en scène l’année suivante Siegfried et le Limousin. Un
succès immédiat l’encourage dans cette voie, et, retrouvant son
monde antique, il donne, entre 1929 et 1937, trois “grands
classiques” ; d’abord une comédie sur les amours de Jupiter et
d’Alcmène, à la suite de Plaute, de Moliére, de Kleist et de 37 autres
(paraît-il) : c’est Amphitryon 38. M. Berne et G. Teissier ont
pris le soin de démonter le mécanisme subtil de cette fable “qui joue
avec les identités” et de souligner les facettes différentes de cette
pièce qui peut, comme au deuxième acte, friser le vaudeville, ou
conduire le spectateur à une réflexion philosophique sur la liberté
humaine. Le ton est encore plus grave dans La guerre de Troie n’aura pas lieu
dont la première représentation a lieu le 22 novembre 1935, en pleine
crise internationale, au milieu des rumeurs les plus alarmistes.
L’auteur a pris ses personnages dans Homère, mais pour ainsi dire dans
leur intimité, “avant qu’ils n’entrent dans la légende”, et, surtout,
ils se sont enrichis de l’actualité : en face du belliciste Démokos /
Déroulède, Hector est un combattant qui revient de la Guerre de 14. Et
son Discours aux morts “est une Prière sur l’Acropole à la mesure de
notre temps et de notre inquiétude”, selon le mot si pertinent de
Colette. Il est hors de doute que Giraudoux a souhaité donner, à sa
manière, un avertissement à ses contemporains. Dans sa troisième pièce
“à l’antique” Electre, il entre directement en concurrence avec
les tragiques grecs. Il va “épousseter le buste de l’héroïne et placer
le mythe dans une lumière contemporaine en lui donnant la démarche
d’une enquête policière, voire psychanalytique”. Il imagine des
personnages, comme le Président et sa frivole épouse Agathe
Théocatoclès, le chœur des trois Euménides, d’abord petites filles et
qui grandissent de scène en scène, le Mendiant, spectateur et
commentateur des événements, tandis qu’il emprunte la figure du
Jardinier à Euripide ; en même temps il remodèle la psychologie des
acteurs du drame antique. En quelque sorte Giraudoux a réinventé à sa
manière la tragédie, même si certains critiques de l’époque lui ont
reproché de prendre trop de libertés.
Mauricette Berne et Guy Teissier ont évoqué ensuite la “veine romaine” de l’auteur. En 1937, alors qu’il met en chantier l’impromptu de Paris, Giraudoux envoie à Jouvet le projet d’une pièce politique qui s’intitulerait Caïus ou Les Gracques, librement inspirée de Plutarque. Ce projet, qu’il reprend en 1939, restera cependant sans suite, mais dès 1942, entreprend une pièce sur l’histoire de Lucrèce et des Tarquins qui deviendra Pour Lucrèce, où il malmène la tradition, prenant le contre-pied du Viol de Lucrèce d’André Obey. C’est seulement en 1953 que cette œuvre de Giraudoux sera jouée grâce à J.-L. Barrault. Et toujours en pleine occupation, alors qu’il fait ses débuts de dialoguiste au cinéma, il écrit L’Apollon de Marsac vite rebaptisé en l’honneur de son pays natal, L’Apollon de Bellac : un lever de rideau plein de charme et d’imprévu qui n’est pas sans rappeler la verve et la fantaisie d’Intermezzo.
Disons
pour conclure, en suivant nos guides attentifs, que Giraudoux, à partir
de l’obscur Elpénor, a jalonné toute son œuvre théâtrale de personnages
empruntés à l’histoire ou aux mythes antiques qu’il a remodelés,
enrichis, en montrant leur complexité. Et surtout il a su leur
insuffler — ce qui manque trop souvent à la scène — un langage poétique
inimitable.
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