lundi 12 novembre 2012

Jean Giraudoux et l’Antiquité

.
Le jeudi 25 octobre la Section orléanaise de l’Association Guillaume Budé avait invité
Mauricette BERNE et Guy TEISSIER
pour parler de :
JEAN GIRAUDOUX ET L’ANTIQUITE

Mauricette BERNE, conservateur honoraire des Bibliothèques, spécialiste du fonds Giraudoux à la BNF est Présidente de la fondation Jean et Jean-Pierre Giraudoux ; Guy TEISSIER, professeur honoraire à l’Université Descartes de Tours a collaboré à l’édition des œuvres de Giraudoux dans la collection de la Pléiade ; de plus ils ont écrit ensemble un livre remarqué Les vies multiples de Jean Giraudoux paru en novembre 2010 aux éditions Grasset : pouvait-on trouver guides plus sûrs pour nous accompagner dans l’univers giralducien ?

Nous avons suivi dans un premier temps l’itinéraire du jeune  lycéen celui qui  a pour double le héros de Simon le Pathétique dont l’innutrition (pour reprendre le terme que Faguet appliquait à Du Bellay et à Ronsard) par la culture antique a commencé dès la classe de cinquième avec une composition française intitulée “le gladiateur mourant” ; un peu plus tard, en classe d’humanités, il écrit des variations sur Plutarque; en rhétorique, il s’exerce à imiter un dialogue de Platon. A sa sortie de la rue d’Ulm, il déclarera avec un peu d’exagération que l’Université ne lui avait appris que le pastiche.  En réalité, Giraudoux,  comme les grands musiciens, se plaît à multiplier les variations sur les œuvres majeures, à commencer par les récits homériques. Ainsi du Chant X de l’Odyssée, il ne retient qu’un personnage épisodique, effacé, couard, et qui, dans son ivresse, se tue en tombant de la terrasse du temple de Circé : c’est Elpénor, héros ou plutôt anti-héros du roman éponyme, dont la première rédaction date de 1919, version burlesque de l’épopée. Plus tard il l’enrichira, par exemple en inventant  de nouveaux épisodes, comme ce concours de poésie où Elpénor gagne contre Apollon, mais heureusement sans subir le destin tragique de Marsyas.

Giraudoux est alors parvenu à dépasser le jeu du pastiche et de la parodie ; il peut se mesurer aux grands mythes ; mais c’est au théâtre qu’il va les retrouver, et notamment grâce à sa rencontre avec Louis Jouvet en 1927, lequel va mettre en scène l’année suivante Siegfried et le Limousin. Un succès immédiat l’encourage dans cette voie, et, retrouvant son monde antique, il donne, entre 1929 et 1937, trois “grands classiques” ; d’abord une comédie  sur les amours de Jupiter et d’Alcmène, à la suite de Plaute, de Moliére, de Kleist et de 37 autres (paraît-il) : c’est Amphitryon 38. M. Berne et G. Teissier ont pris le soin de démonter le mécanisme subtil de cette fable “qui joue avec les identités” et de souligner les facettes différentes de cette pièce qui peut, comme au deuxième acte, friser le vaudeville, ou conduire le spectateur à une réflexion philosophique sur la liberté humaine. Le ton est encore plus grave dans La guerre de Troie n’aura pas lieu dont la première représentation a lieu le 22 novembre 1935, en pleine crise internationale, au milieu des rumeurs les plus alarmistes. L’auteur a pris ses personnages dans Homère, mais pour ainsi dire dans leur intimité, “avant qu’ils n’entrent dans la légende”, et, surtout, ils se sont enrichis de l’actualité : en face du belliciste Démokos / Déroulède, Hector est un combattant qui revient de la Guerre de 14. Et son Discours aux morts “est une Prière sur l’Acropole à la mesure de notre temps et de notre inquiétude”, selon le mot si pertinent de Colette. Il est hors de doute que Giraudoux a souhaité donner, à sa manière, un avertissement à ses contemporains. Dans sa troisième pièce “à l’antique” Electre, il entre directement en concurrence avec les tragiques grecs. Il va “épousseter le buste de l’héroïne et placer le mythe dans une lumière contemporaine en lui donnant la démarche d’une enquête policière, voire psychanalytique”. Il imagine des personnages, comme le Président et sa frivole épouse Agathe Théocatoclès, le chœur des trois Euménides, d’abord petites filles et qui grandissent de scène en scène, le Mendiant, spectateur et commentateur des événements, tandis qu’il emprunte la figure du Jardinier à Euripide ; en même temps il remodèle la psychologie des acteurs du drame antique. En quelque sorte Giraudoux a réinventé à sa manière la tragédie, même si certains critiques de l’époque lui ont reproché de prendre trop de libertés.


Mauricette Berne et Guy Teissier ont évoqué ensuite la “veine romaine” de l’auteur. En 1937, alors qu’il met en chantier l’impromptu de Paris, Giraudoux envoie à Jouvet le projet d’une pièce politique qui s’intitulerait Caïus ou Les Gracques, librement inspirée de Plutarque. Ce projet, qu’il reprend en 1939, restera cependant sans suite, mais dès 1942, entreprend une pièce sur l’histoire de Lucrèce et des Tarquins qui deviendra Pour Lucrèce, où il malmène la tradition, prenant le contre-pied du Viol de Lucrèce d’André Obey. C’est seulement en 1953 que cette œuvre de Giraudoux sera jouée grâce à J.-L. Barrault. Et toujours en pleine occupation, alors qu’il fait ses débuts de dialoguiste au cinéma, il écrit L’Apollon de Marsac vite rebaptisé en l’honneur de son pays natal, L’Apollon de Bellac : un lever de rideau plein de charme et d’imprévu qui n’est pas sans rappeler la verve et la fantaisie d’Intermezzo.

Disons pour conclure, en suivant nos guides attentifs, que Giraudoux, à partir de l’obscur Elpénor, a jalonné toute son œuvre théâtrale de personnages empruntés à l’histoire ou aux mythes antiques qu’il a remodelés, enrichis, en montrant leur complexité. Et surtout il a su leur insuffler ce qui manque trop souvent à la scène un langage poétique inimitable.
.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire