jeudi 18 mai 2017

Le Génie du mensonge

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François Noudelmann fut notre invité ce soir du 4 mai 2017. Catherine Malissard nous présenta ce philosophe connu, auteur de nombreux ouvrages dont Le génie du mensonge, son dernier livre à succès qu’il commenta simplement, dans le souci de se faire comprendre. Le titre éloquent nous ouvre la voie de sa réflexion. Il veut se faire le « décodeur » des contradictions que montrent certains philosophes dont l’œuvre et la vie ne coïncident pas. D’où l’idée que notre conférencier développe : l’écriture parle et dévoile la psyché de l’auteur.

Noudelmann pointe le paradoxe dont font preuve les créateurs de théories dans lesquelles le concept est asséné comme une vérité aveuglante. La lecture de son ouvrage nous révèle en effet que certains penseurs ont vécu en plein mensonge tant la vie qu’ils ont menée est loin de refléter leur philosophie. Mais ce déni peut donner une œuvre géniale quand il permet d’accoucher d’une œuvre forte. Il permet de révéler la vérité ontologique, présente sous le beau mensonge, cette sorte de « mentir-vrai » selon Aragon.

La vérité est donc relative ? pour y répondre, notre auteur étudie la distorsion entre les idées proclamées et la vie menée par les philosophes. Il ne cherche pas à porter un jugement moral sur ces philosophes qu’il admire mais il veut les comprendre et saisir la complexité de leur être. C’est pourquoi, Il s’intéresse à la psychologie de l’écrivain car elle interfère dans le discours théorique. Comment relire ces textes à la lumière d’un investissement psychique ? Freud, auquel notre conférencier se réfère souvent, démontre que du mensonge de ses patients, peut jaillir la vérité de leur être. Le psychanalyste viennois a souligné la jouissance narcissique des philosophes créateurs de concepts qui donnent sens à leur vie.

Pour Noudelmann, Jean-Jacques Rousseau est-une sorte de paradigme dans l’élaboration de son étude. On sait que ce philosophe a écrit L’Émile, traité célèbre sur l’éducation, sa nécessité et ses bienfaits et ce tandis qu’il confiait ses cinq enfants à l’Assistance publique. A-t-il écrit cet ouvrage inconscient du mensonge que représentait son système de valeurs par rapport à la vie qu’il menait en privé ? Était-il conscient de cette inconséquence ? Selon Noudelmann, l’auteur des Confessions fait un aveu volontaire en se présentant dans cet ouvrage comme éducateur et père d’un enfant « idéal » qu’il aime et qu’il instruit car il se voit ainsi. Ce livre l’absolvant de l’abandon de sa progéniture ?

Tout homme est pétri de contradictions, nous le savons. Le ressenti de l’individu influence forcément ses écrits et les démonstrations éclairent les propos du conférencier.
Deleuze qui prône le nomadisme vit le plus casanièrement du monde, ne cachant pas sa « haine » du voyage. Sartre a réinventé la figure de l’intellectuel engagé alors qu’il est resté passif lors de la seconde guerre mondiale. Simone de Beauvoir incite à l’émancipation féminine dans son traité Le Deuxième Sexe, alors que sa correspondance avec Nelson Algren révèle la jouissance servile d’une femme amoureuse. Kierkegaard compose des textes religieux, fait l’éloge du mariage mais vit en célibataire libertin. Il assume franchement ses différents « je » ou pseudonymes à l’instar de l’écrivain Pessoa qui multiplie ses hétéronymes. Michel Foucault prône le courage de dire la vérité mais il refuse de nommer sa maladie et ment sciemment car il veut cacher, au monde, sa vie privée.

Noudelmann montre ainsi que, hors de tout jugement moral, le mensonge relève de la division et de la multiplicité du moi. Paradoxe qu’il faut chercher à comprendre et non à dénoncer. L’écriture parle et dévoile la psyché. Selon notre orateur qu’inspire l’art musical, le concept « frappe » comme une touche sur un clavier, il peut être un cri qui précède le raisonnement élaboré. L’écriture serait portée par un rythme qui révèle la personnalité du philosophe comme de tout écrivain. Chacun de nous parle selon l’image qu’il veut donner de soi, par crainte de révéler ses failles. Le mensonge est ordinaire à tous. Quant aux romanciers nous aimons qu’il soit à la source de leurs œuvres d’imagination.

François Noudelmann nous a démontré clairement que ce déni se cache aussi sous la plume des philosophes. Il a voulu le décrypter, en faire le sujet d’un livre, en parler. Ce que notre conférencier a su faire ce soir, avec talent, dans un face à face très apprécié.

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