lundi 2 novembre 2015

Entretien avec l’écrivain Yannick HAENEL

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C’est à notre Vice-Président Jean NIVET que revenait l’honneur d’ouvrir la séance de rentrée – la 62e depuis la fondation en 1954 — ainsi que de présenter au public le nouveau Président de la Section locale de l’Association Guillaume-Budé, élu à l’unanimité par le Bureau : Bertrand HAUCHECORNE.


Jean Nivet a rappelé à cette occasion le rôle qu’avait joué dans la vie culturelle orléanaise son père, François Hauchecorne, Conservateur de la Bibliothèque d’Orléans disparu en 1981, avec qui il avait eu le privilège et le plaisir de travailler dans le cadre de la Société Archéologique. Très ému, Bertrand Hauchecorne a exprimé d’abord une légitime appréhension (car « succéder à un Président tel qu’Alain Malissard est une lourde tâche »), mais en même temps une certaine confiance, se sachant secondé par une équipe active et soudée, fidèle à l’esprit budiste, nourrie de la sagesse antique tout en étant ouverte à la culture vivante et novatrice.



Selon la tradition, Jean Nivet a, en premier lieu, résumé les activités de la saison écoulée: sept conférences (dont les deux dernières : « Victor Hugo sénateur » par Jean-Pierre Sueur et « Innovation et Humanisme » par Anne Lauvergeon ont connu une belle affluence), une Table Ronde sur la guerre animée par Lucien Giraudo, professeur au Lycée Pothier, intitulée : « Penser la guerre, écrire la guerre », réunissant Florence Aubenas, Eric Germain, Georges Malbrunot et Eric Pernot, une séance de lectures, en hommage à Alain Malissard : « Scandales à Rome : Cicéron monte à la tribune », mise en scène par l’acteur Xavier Gallais.

En somme une riche année, clôturée par un Voyage du 2 au 4 juin : « En Lorraine avec les écrivains en guerre » (Louis Pergaud, Jules Romains, Maurice Genevoix, Alain-Fournier, Maurice Barrès), voyage qui a mené les participants du moulin de Valmy à la colline de Sion-Vaudémont avec une longue et fructueuse halte à Nancy.

Notre vice-président a ensuite évoqué à grands traits le programme de la saison future :
  • 15 octobre : Histoire de la magie: une nouvelle discipline ? par Leslie Vuillaume, doctorante à l’Université de Paris I ;
  • 17 novembre : Autour du mythe de Tristan et Iseut, par Frédéric Boyer, écrivain ;
  • 10 décembre : Familles composées, décomposées et recomposées, par Christian de Montlibert, sociologue, professeur émérite à Strasbourg II ;
  • 14 janvier 2016 : Un historien gaulois, Trogue Pompée, une vision singulière de l’Histoire, par Bernard Mineo, professeur à l’Université de Nantes ;
  • 4 février : Quelques femmes dans la vie de Giuseppe Verdi, par Yveline Couf, professeur, membre de la Soc. des Amis de Verdi ;
  • 24 mars : Danse et musique dans le théâtre au début de l’Empire romain, par Florence Dupont, prof. émérite à Paris VII ;
  • 19 avril : Y a-t-il une tradition républicaine ? par Mona Ozouf, historienne, directrice de recherche au CNRS ;
  • en mai/juin : Excursion littéraire « une journée en Indre-et-Loire ». Descartes et ses trois René (Descartes, Boylesve, Buxeuil). Richelieu (modèle d’urbanisme du XVIIe siècle), le château de Touffou, demeure de Jean Chasteigner, compagnon d’armes de François Ier.


La parole a été alors confiée à Nicole Laval-Turpin qui avait la tâche de présenter notre invité : Yannick Haenel, un écrivain de 48 ans, à l’allure d’éternel jeune homme. Retraçant les grandes lignes de l’œuvre déjà abondante d’un auteur qui suscite la curiosité, voire la discussion, elle a cité son premier livre, en grande partie autobiographique Les Petits Soldats (1996), puis évoqué la polémique autour de Jan Karski (2009) – dont le CDN avait monté avec succès une adaptation du roman qui, par ailleurs, avait essuyé les feux d’une sévère critique de la part de Claude Lanzmann (à qui elle a répondu vertement en défendant le droit à la fiction comme une nécessité) avant d’aborder le vif du suite : un entretien autour de son dernier ouvrage : « Je cherche l’Italie », un entretien mené par Catherine Malissard, très attentive et soucieuse de poser les bonnes questions. 





La plus délicate portait sur la raison invoquée par Yannnick Haenel de sa décision, prise il y a quatre ans, de s’installer à Florence avec femme et enfant pour « faire le point ».

Lectures à l’appui, Il l’explique d’abord par « un besoin de faire une pause dans une existence qui va trop vite », par le désir de trouver dans l’Italie « un hâvre qui l’accueille », et aussi de réaliser un rêve de jeunesse : avoir tout son temps pour jouir des œuvres d’art. Ce rêve va perdurer : pendant quatre années, il se veut disponible à l’écoute de la vraie mémoire qui est celle de l’art. « Faire le point » permet de réunir tous les siècles en un même temps et surtout de s’opposer à l’inessentiel – et en 2011 l’inessentiel se confondait avec la politique, cette politique qui s’incarnait alors en Italie dans le sourire arrogant de Berlusconi affiché ostensiblement dans tous les médias, un sourire « qui éclaboussait Florence », et, en réalité masquait le drame humain symbolisé par la rencontre avec un immigré sénégalais vendeur à la sauvette devant le palais des Médicis.




Comment réagir face à ce mélange de beauté, de détresse et de vulgarité ? Yannick Haenel parle de « résistance intime », et de ses outils qui sont la solitude, le silence, la contemplation du beau ; il est à la « quête des éblouissements, des extases, des illuminations ». L’écriture a le pouvoir de créer ce lieu de résistance, ce « territoire qu’on porte en soi » et qui vous rend la liberté – et c’est là une des constantes dans toute l’œuvre de Yannick Haenel.

Dans un long échange, sur le ton de la conversation la plus amicale, Yannick Haenel a évoqué, entre autres, son admiration pour saint François qui a réussi à satisfaire à la fois son désir de solitude et son aspiration à la vie communautaire, et qui est, à ses yeux, le héros d’une aventure de l’esprit et, en même temps, une conscience politique. Et aujourd’hui, cette conscience politique ne peut oublier la tragédie qui se joue au large des côtes italiennes. « Il y a eu trois cents morts à Lampedusa et presque personne n’en a parlé. Cela m’obsède… Depuis, il y a eu un millier de morts en un an. Lampedusa est le nom d’une infamie. Le roman tourne autour de ce mot. 




Je cherche l’Italie dénonce la barbarie de notre monde, mais aussi construit en quelque sorte un barrage contre le mensonge de « la langue de bois » des politiques et de la propagande ». La question que pose mon livre est : y a-t-il de l’indemne, du non-damné ? Il y a l’amour, bien sûr ; il y a aussi l’art, les œuvres les plus vieilles que je passais mon temps à visiter, car elles constituent un moment vivable dans l’invivable… (…) Un point en soi, où la société dans ce qu’elle a de pire n’a pas de prise sur nous.

À la fin de cet échange, les participants ont relancé le débat, notamment à propos du « château de la parole » (l’énigmatique Castel del Monte). Il restait à Yannick Haenel de nous faire revivre son ultime joie : assister, seul au couvent de San Marco, à l’aube naissante, devant l’Annonciation de Fra Angelico, lorsque le rayon lumineux est venu frapper le ventre de la Vierge. C’était le 25 mars, jour de l’Annonciation…
« Ce matin-là, dit-il, j’ai trouvé l’Italie… » 



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