mardi 3 mars 2015

Les Etats généraux de l’Antiquité : Quels enjeux pour demain ?

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Ce samedi 28 février, nous avons retrouvé la Sorbonne. Après avoir montré patte blanche aux vigiles assez débonnaires, le plan vigipirate oblige, nous nous sommes dirigés vers l’amphithéâtre Richelieu où se tenait un colloque intitulé
«Les Etats généraux de l’Antiquité : 
Quels enjeux pour demain ? »

Cette journée particulière a su réunir un public nombreux venu entendre d’éminents spécialistes nous parler de l’Antiquité. Nous avons pu constater que l'invitation lancée par différentes associations, dont Guillaume Budé « national », qui promeuvent la culture antique, a obtenu un franc succès. Parmi bien d’autres auditeurs, nous étions trois “Budistes“ d’Orléans (avec Colette Spenlé), curieux de participer à cette rencontre.
Ce colloque d’un jour, réflexion ouverte sur l’état des lieux et les enjeux du futur quant à la culture classique, a été organisé par l’APLAES soit l’Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur et par la SOPHAU ou Société des Professeurs d’Histoire Ancienne de l’Université. Toutes deux placées sous le haut patronage de l’Académie française et l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres avec le soutien de la Fondation Simone et Cino Del Duca - Institut de France.

Cette manifestation importante avait été annoncée, sur les ondes, par Emmanuel Laurentin qui dirige à France- Culture l’émission quotidienne, de grande qualité, « La Fabrique de l’Histoire “ qui a su fidéliser un public exigeant. Certains d’entre vous se souviennent peut-être de l’émission qu'Emmanuel  Laurentin consacra à notre association en octobre 2010 : Des humanistes modernes à Orléans”. Les membres du bureau sous la houlette de Alain Malissard ont eu ainsi le loisir de parler de l’histoire et de la vitalité de notre association orléanaise.


Hier, le 28 février 2015, la séance s’ouvrit à 10 heures après que chacun se fut installé sur les vieux bancs joliment boisés mais fort inconfortables de l’amphithéâtre circulaire. Impression de remonter le temps et d’entendre des voix anciennes. Public à l’écoute. Coup d’envoi portant sur le thème "L’Antiquité et l’éducation“. Cinq intervenants prirent place face à la salle, les coudes posés sur une longue table drapée d’un tissu vert. La première table “ronde “ réunissaient autour du modérateur Maurice Sartre : 

  • Augustin D’Humières, Professeur agrégé de lettres classiques au lycée Jean-Vilar de Meaux (Seine et Marne), fondateur et ancien président de l’association Mêtis
  • Bernard Legras, Professeur d’Histoire grecque, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, vice-président CFVU-Conseil Académique
  • Dario Mantovani, Professeur de Droit romain à l’Université de Pavie, directeur de la revue Athenaeum et du CEDANT (Centro di studi e di ricerche sui diritti antichi)
  • Monique Trédé, Professeur de Langue et littérature grecques à l’École Normale Supérieure (Paris), vice-Présidente de l’association Sauvegarde des Enseignements Littéraires (SEL)

La vivacité et la clarté des propos des intervenants, s’écoutant, se répondant, relayés par les remarques de Maurice Sartre habile à favoriser les échanges, ont mis d’emblée les auditeurs dans le vif du sujet. Comment enseigner aujourd’hui le grec et le latin ? Chacun des intervenants apportait sa note particulière modulée selon sa propre expérience : soit celle passionnante d’un enseignant de grec et latin actuellement en fonction, soit celle d’un juriste italien qui nous apprend que la plage horaire réservée à l’apprentissage du latin à l’école, est la même que celle consacrée à l’italien, soit les réflexions de Monique Trédé insistant avec force sur la nécessité de l’apprentissage du latin et de l’étymologie, pour comprendre et parler la langue française aujourd’hui, mise à mal par le quasi abandon de la grammaire dès le collège. État des lieux basé sur le rejet actuel de la culture classique d’où la pauvreté de la langue française au niveau supérieur. Question qui fâche : la formation actuelle des historiens n’exige plus l’apprentissage d’une langue ancienne malgré le goût des étudiants pour l’histoire du passé antique. À contrario et paradoxalement, l’on apprend que le best-seller « Harry Potter » est aujourd’hui traduit en latin !


[En cliquant sur les photos vous pouvez les agrandir]

Insistance sur l’apprentissage des langues anciennes favorisant la connaissance de soi et la tolérance envers les autres. Connaître la religion polythéiste pratiquée chez les gréco-romains ne peut qu’ouvrir l’esprit des élèves aux multiples modes de penser. Le public emporté par la parole des orateurs applaudissait l’un ou l’autre des intervenants. Ce fut alors
le moment de parole donnée aux assistants qui déclencha divers témoignages intéressants et vigoureusement exprimés. Tous semblaient portés par le sentiment de l’urgente nécessité de ressusciter l’enseignement du grec et du latin dans le cursus de l’élève.

Après un déjeuner au Balzar — qui nous rappela que nous n’étions plus étudiants — nous revenons assister à deux autres tables rondes qui engageaient une réflexion ouverte sur la culture et la recherche au-delà de l’hexagone.

« L’Antiquité et la culture européenne » sous la direction souple et pleine d’esprit de Jean-Noël Jeanneney, ancien Président de la Bibliothèque Nationale de France, avec :

  • Barbara Cassin, Directrice de recherche au CNRS, directrice du centre Léon-Robin, Collège International de Philosophie. Philologue, helléniste, germaniste et philosophe française
  • Nicolas Grimal, Professeur au Collège de France (chaire Civilisation pharaonique : Archéologie, Philologie, Histoire), directeur honoraire de l’Institut Français d’archéologie Orientale – Le Caire
  • Györgi Karsai,Professeur de Philologie classique à l’Université de Budapest
  • Alain Schnapp, Professeur d’Archéologie grecque à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA)
  • Michel Zink, Professeur au Collège de France (chaire des Littératures de la France médiévale), Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres.

Cette table ronde passionnante, animée par de brillants professeurs nous permit d’outrepasser les frontières grecques et romaines de l’Antiquité et de l’élargir au Moyen-Âge et à la Renaissance. Les nouveaux intervenants tous férus dans leur discipline étaient cependant dépourvus de ce maintien « ex cathedra » qui aurait pu les éloigner d’un public venu nombreux, en attente de nouvelles perspectives. Barbara Cassin déclencha un élan de curiosité et Michel Zink fit les délices des amateurs de la civilisation médiévale européenne.
Beaucoup de jeunes têtes attentives, penchées sur leurs feuilles, stylo au poing, prenaient des notes et n’hésitaient pas à prendre la parole. Tenus en éveil après avoir retrouvé le même inconfort sur les bancs de l’amphithéâtre, nous ne pouvions, heureusement, nous laisser aller à la somnolence post-prandium ! Émettons une idée : notre époque pourrait peut-être s'inspirer de l'Antiquité pour essayer de retrouver l'esprit du discours et de la tolérance

La troisième table ronde fut modérée avec fermeté et talent par Emmanuel Laurentin, « journaliste d’histoire » à France Culture. Il portait sur L’Antiquité et la recherche avec :

  • Jean-Paul Demoule, Professeur de protohistoire européenne à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, ancien Président de l’INRAP, membre de l’Institut Universitaire de France
  • Alexandre Farnoux, Professeur d’archéologie à l’Université de Paris-Sorbonne, Directeur de l’École française d’Athènes
  • Francis Joannès, Professeur d’Histoire ancienne à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne (enseignement de l’histoire mésopotamienne, des rapports Bible-Mésopotamie, et des langues anciennes du Proche-Orient), Directeur de l’Unité Archéologies et Sciences de l’Antiquité (ArScAn-UMR 7041)
  • Catherine Virlouvet, Professeur d’Histoire romaine à l’université d’Aix Marseille, directrice de l’École française de Rome
  • Arnaud Zucker,Professeur de langue et littérature grecques à l’Université de Nice Sophia Antipolis, directeur adjoint de l’unité Cultures et Environnements Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge (CEPAM-UMR 7264, Nice), directeur de la revue électronique RURSUS


Ces propos argumentés nous permirent d’apprécier comment s’était faite l’extension de l’archéologie, du moins dans notre pays grâce à l’INRAP, et d’en connaître les limites dues aux types de contrats de recherche et à la crise actuelle… la place de la philologie et de l’épigraphie fut aussi soulignée avec maints exemples évocateurs.

Il y avait encore plus de trois cents personnes lorsque Christophe Ono-dit-Biot, journaliste, écrivain et directeur-adjoint de la rédaction du Point, s’essaya à synthétiser les échanges de cette journée riche d’écoute et mémorable. De façon piquante et malicieuse, le journaliste évoqua une phrase prononcée par Steve Job : "J’échangerais toute ma technologie contre un après-midi avec Socrate". Quel hommage !

Il le fit avec le brio qu’on lui connaît sur les ondes et l’enthousiasme que nous ressentions nous-mêmes, au cœur de cette vieille institution, centre de débats d’actualité et chargée d’énergies nouvelles.
Rappelons que le mot « enthousiasme » vient du grec « enthousiasmos » soit « transport divin ». C’est le mot que je retiendrai pour symboliser l’état d’esprit animé qui fut le nôtre au cours de cette belle journée, portant au cœur cette question : « comment la recherche dans le domaine de l’Antiquité peut-elle continuer de nourrir notre connaissance et notre compréhension du monde contemporain ? »

Enfin, la compagnie Démodocos, de Philippe Brunet, Professeur de Langue et littérature grecques à l'Université de Rouen, présenta « Poésie, musique, danse, théâtre » spectacle voulant restituer sur scène l’esprit de l’Antiquité, mais il nous a déçus par rapport à notre attente.
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Des photos et les vidéos de cette belle journée 

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