samedi 21 février 2015

Les mots, les maths et l'histoire

.
Le mardi 10 février, Bertrand HAUCHECORNE, agrégé de mathématiques, professeur de classes préparatoires au Lycée Pothier, auteur de nombreux ouvrages — dont un récent Dictionnaire historique et étymologique du vocabulaire mathématique —  a prononcé une conférence intitulée : 

Les mots, les maths et l’histoire

Nicole Laval-Turpin a eu le plaisir de présenter le conférencier qui a été son collègue au Lycée pendant plusieurs années et dont elle a apprécié l’ouverture d’esprit, le souci de mettre en relation lettres et sciences ainsi que le désir de susciter la curiosité. Bertrand Hauchecorne a d’emblée satisfait ce désir en s’adressant à un public plus accoutumé  aux figures de style qu’aux équations du 2e degré.

L’auditoire en effet a été  captivé ; même s’il ne possédait pas  entièrement cette qualité que Pascal appelait « l’esprit de géométrie » ; il a été immédiatement séduit par l’enthousiasme d’un professeur passionné. Lequel a, en premier, insisté sur le lien entre les mathématiques et le langage, montrant la formation du vocabulaire de la science mathématique, son évolution, avec de nombreuses variations et de différentes sources, nous entraînant dans un voyage historique à la recherche des origines. Si l’on peut affirmer avec vraisemblance que la genèse de cette science apparaît à l’époque préhistorique où les hommes, passant de la chasse à l’élevage et à la culture, ont eu besoin de réaliser des échanges, donc de dénombrer et de mesurer, c’est bien aux Grecs du VIe siècle avant notre ère — dont les plus célèbres sont Pythagore et Thalès — que l’on doit l’essentiel : c’est-à-dire la faculté de raisonner. Il faut cependant attendre le IIIe siècle (av. JC) pour parler d’un âge d’or de cette science, qui s’épanouit en pleine civilisation alexandrine sous l’impulsion de Ptolémée Ier Sôter, le fondateur du « Mouséïon » où  va s’illustrer Euclide. Le véritable fondateur de la géométrie est aussi l’inventeur de termes précis (par exemple, le cercle — ou « kuklos » remplace le « rond » du langage courant, l’angle ou« gônia » détrône le « coin », alors que le trapèze est issu de la table des changeurs dite « trapeza », qui désigne la banque en grec moderne) Cet héritage grec est passé directement chez les Latins, lesquels plus juristes que matheux, se sont  le plus souvent contentés de traduire les mots usuels. Mais n’oublions pas qu’ils ont inventé le terme de calcul qui nous renvoie aux petits cailloux de la trousse du jeune Romain apprenant à compter…



Notre guide nous avait promis un voyage historique. Il allait être en réalité exotique : après la fermeture de l’Académie en 529 par l’empereur Justinien, la culture mathématique se déplace de Constantinople vers l’Orient et se transmet en langue arabe — avec deux traductions essentielles : les Eléments d’Euclide et L’Almageste de Ptolémée, Déjà, dès le début du Ve siècle, la civilisation indienne avait fait évoluer les mathématiques avec l’invention capitale de la « numération de position » (d’où les algorithmes) qui entraîne celle du zéro (sûnya : c.a.d. vide ou vacant en hindi, traduit en arabe par sifr - notre futur « chiffre »). Nous avons alors assisté aux tribulations de ces éléments symboliques vers l’Occident, d’abord dans les écoles médiévales d’Europe — surtout par le truchement de Boèce (470-524), à la fois philosophe et féru d’arithmétique — et dans les foyers de civilisation particulièrement brillants comme le califat de Cordoue ou la Cour de Tolède, ou encore en Italie où s’illustrent des esprits éclairés comme Gérard de Crémone et Léonard de Pise. À partir du XVe siècle, du fait de l’essor du commerce, l’arithmétique se développe ; les chiffres arabes s’imposent ; les manuels ne sont plus écrits en latin, mais en langue vernaculaire, comme en Allemagne les ouvrages d’Adam Riese…

Au moment de clore ce voyage historique à travers des siècles de science mathématique — la science par excellence selon l’étymologie — Bertrand Hauchecorne a tenu à illustrer son propos par des exemples, chaque époque ayant apporté son lot de vocables, dont le sens et l’usage ont pu évoluer. ainsi les expressions comme : « le quart » ou « le tiers », qui à la Renaissance (on pense bien sûr à Rabelais) avaient valeur d’adjectifs ordinaux, sont de nos jours réservées aux fractions. Souvent le vocabulaire s’est spécialisé : la « roulette » est devenue une « cycloïde » ; la « touchante », une « tangente » Parfois un mot nous ouvre un horizon poétique ; ainsi, à propos du calcul des probabilités, nous avons eu la révélation que le mot « hasard » avait pour origine le jeu de dés, plus exactement la face du dé qui représente l’arabe « al azar » = la fleur. Joli, n’est-ce pas ? Bien mieux que le mot « chance » vient tout bonnement du latin « cadere » = tomber…



Bertrand Hauchecorne a gardé pour la fin quelques expressions courantes issues des mathématiques, comme le familier « prendre la tangente », ou l’adjectif « incommensurable », qui, au départ, ne s’appliquait qu’à des longueurs qu’on ne pouvait mesurer ensemble, ou encore la traditionnelle expression : « la quadrature du cercle » (un problème insoluble !) , ou encore cette locution à la mode : « l’équation personnelle » (que je serais tenté de traduire par la prétentieuse « idiosyncrasie »). Mais laissons le dernier mot à notre professeur passionné — et qu’on aurait pu écouter encore longtemps : « Si la langue française a beaucoup apporté aux mathématiques, celles-ci en revanche ont largement contribué à sa richesse. »

___________

Vous pouvez écouter (et télécharger) cette conférence, et toutes celles de cette saison 2014-2015 :


Vous pouvez retrouver les comptes rendus de toutes les conférences (365 !) organisées par notre association depuis 1954 :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire