mardi 8 mars 2011

La foule parisienne et ses évènements au XVIII° siècle par Arlette Farge

 .
Pour cette conférence, notre section orléanaise accueille le 27 janvier 2011 Mme Arlette Farge. Directrice de recherche au CNRS et enseignante à l’EHESS, celle-ci a consacré sa vie à l’histoire des femmes et à l’histoire des classes populaires du XVIII° siècle. Auteur d’une vingtaine de livres (dont le dernier est : « Essai pour une histoire des voix ») et d’un nombre considérable d’articles, participant sur France-Culture à la « Fabrique de l’Histoire », elle a aussi donné au n° 64 de la revue orléanaise Théodore Balmoral un très beau texte dont le président Malissard lit l’extrait concernant le XVIII° siècle.

Arlette Farge nous informe d’abord de sa « façon singulière de travailler ». Proche de Michel Foucault et de Jacques Revel, elle doit aussi beaucoup aux romanciers contemporains comme Pierre Michon et ses « Vies minuscules » ou Pascal Quignard. Ses sources sont avant tout les archives de la police, détenues par les Archives nationales et la Bibliothèque de l’Arsenal. Il s’agit de plaintes devant la justice, d’interrogatoires de police, de témoignages qui concernent de minuscules évènements, des incidents, des petites infractions, des désordres habituels mais pas la grande criminalité. Ce sont donc des gens de peu qui sont venus devant la police pour une rixe ou une plainte ordinaire. Ce type d’archive exige un travail minutieux et un protocole de recherche.

L’historien y est confronté à des êtres de chair que l’histoire n’a pas retenu, à des anonymes qui ont réellement existé. Ils sont présents par des fragments de paroles, des bribes de phrases mais jamais de longs textes, ni d’anecdotes. Ce sont des gens qui se sont heurtés au pouvoir et la lumière sur eux vient du haut. Il faut savoir interpréter en historienne ces archives belles, émouvantes, pathétiques, en triant entre le vraisemblable et l’invraisemblable, entre les mensonges tactiques et la spontanéité franche.

Les foules parisiennes au XVIIIe siècle sont semblables à celles des grandes villes comme Marseille et Lyon et Arlette Farge nous introduit dans l’essentiel de son développement par la lecture d’une description par les odeurs faite par Louis-Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris. Chaque quartier est une personne morale avec une personnalité particulière et l’on y vit sous le regard des autres car à l’époque, on vit dehors. Il n’y a pas de portes et les ateliers sont dans la rue. Il y a beaucoup de marchands ambulants. Espace public et espace privé sont confondus. Tout arrive par la Seine et notamment le bois du Morvan. Les carrefours sont lieux d’échanges et d’embauche, les ponts sont très animés. L’eau provient de la Seine, de la fontaine ou des porteurs d’eau. Montreurs d’ours et petits vendeurs de nouvelles et de pamphlets à un sou se côtoient. S’il y a solidarité entre voisins et compagnons de travail, la violence physique se frotte à une police bien organisée depuis le règne de Louis XIV et à l’incarcération dans l’une des 25 prisons.

Aussi la foule est omniprésente dans les rues, les églises, sur les bords de Seine, dans les faubourgs où le vin est moins cher. Les voyageurs, comme Arthur Young, éprouvent de l’effroi devant cette marée humaine désordonnée. Ce qui frappe, ce sont les bruits, les voix et les gestes. Le peuple, aux deux tiers analphabète, est bouche ouverte. Il s’exprime avec son corps dans la promiscuité mais avec une grande pudeur. C’est une société orale, sans écrit. Chaque marchand a son cri pour être entendu dans la cacophonie.

Les aristocrates comme la bourgeoisie marchande et intellectuelle vivent à Paris dans les hôtels du Marais ou dans les étages nobles des immeubles. Leurs domestiques traduisent à leurs maîtres tous ces cris très différents des conversations de salon et émis par des voix rauques et grossières. C’est une langue étrangère qui est au sens premier du terme « inepte » et les domestiques font fonction d’interprètes. S’ajoutent à cela les migrants venus de toutes les provinces du royaume pour trouver du travail. Population flottante utilisant tous les patois, tous les accents, toutes les prononciations à tel point qu’il faut des interprètes devant le tribunal de police.

Pour le roi, la foule est « l’inconnue des inconnues ». Perçue comme « étrangère », elle fait peur. Partout, on colle très haut des affiches, des placards, aujourd’hui conservés sur plusieurs épaisseurs. On les lit à haute voix, les réactions fusent. Aussi Paris auquel le pouvoir porte grande attention est-il très surveillé par des inspecteurs de police et par des mouchards payés pour écouter ce qui se dit, notamment dans les cabarets. Les mauvais propos, même peu graves, peuvent conduire à la Bastille. Les blasphèmes et les sacrilèges sont les plus grands forfaits. Parler du roi est interdit car le lien roi- sujets doit être fusionnel mais des changements apparaissent. Dans l’émeute, la cabale, le peuple est immédiatement confronté à la monarchie. Son seul rempart est son corps. Mais les foules ne sont pas irrationnelles, leurs mouvements s’appuient sur des réalités sociales. Elles sont capables de ferveur, d’enthousiasme, de solidarité en plein siècle des Lumières.

Les questions ont permis à Arlette Farge de préciser certains points.

Elle ne croit pas à la continuité de l’histoire et elle travaille comme si la Révolution n’avait pas existé et sans penser que le 14 juillet allait arriver. L’histoire est imprévisible. Qui pouvait en 1720 prévoir 1789 ? La faiblesse de l’historien est qu’il connaît ce qui va arriver aux temps passés. Aussi doit-il être modeste.

À propos des grandes villes de province, elle souligne le rôle très important des octrois, lieux de passage, de mendicité, de prostitution avec une sociabilité particulière liée à la présence des soldats.

Comment la Révolution désirant une seule voix pour la nation souveraine a-t-elle résolu le problème de la langue ? Une grande enquête initiée par l’abbé Grégoire a été faite par 64 personnes envoyées dans les villages pour décrire tous les patois et toutes les prononciations. La volonté était d’éradiquer les patois. Pour commencer, la Déclaration de l’homme et du citoyen devait être prononcée en bon français.

Enfin, une question a été posée sur la série télévisée « Nicolas le Floch ». Arlette Farge répond que tout y est vrai et que les auteurs, très malins, n’ont pas vraiment plagié ses recherches. Elle pense que si les découvertes des historiens sont utilisées par d’autres, cela doit les inciter à mieux faire passer leur travail auprès du public.
.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire