samedi 17 janvier 2015

Penser la guerre, écrire la guerre



Ce 25 novembre, la Section orléanaise de Guillaume BUDE avait organisé une table ronde sur le thème « PENSER LA GUERRE, ECRIRE LA GUERRE ».
Le modérateur en était Lucien GIRAUDO, professeur de Lettres en classes préparatoires aux grandes écoles du lycée Pothier.

Avaient accepté d'y participer :
  • Florence AUBENAS, journaliste au Monde, grand reporter, ancienne otage, attentive à la France précaire, (son dernier livre : En France) ;
  • Georges MALBRUNOT, journaliste au Figaro, grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient, ancien otage lui aussi, auteur de Qatar, les secrets du coffre-fort avec Christian Chesnot ;
  • Denis PERNOT, professeur de Littérature à Paris XIII, spécialiste de la littérature de guerre et notamment de Barbusse (présentation d'une réédition du roman Le Feu) ;
  • Eric GERMAIN, spécialiste de l'éthique des nouvelles technologies au Ministère de la Défense, auteur de Les robots au cœur du champ de bataille.

Nicole Laval-Turpin, nouvelle vice présidente de notre association ouvrit cette table ronde en précisant : (…) Vous allez en effet entendre des intervenants de qualité, mais il manquera parmi eux la voix chaleureuse et inspirée de celui qui aurait dû mener les échanges, celui qui avait eu l’idée de cette table ronde : notre président Alain Malissard, disparu voilà peu. Le meilleur hommage à lui rendre était de reprendre le flambeau. Son rayonnement simple, son implication aussi discrète que totale, durant tant d’années, doivent nous montrer comment continuer. Votre présence en nombre atteste que vous êtes dans ce même état d’esprit. Soyez-en remerciés. Et ensemble, dédions-lui cette soirée. (…)

L. GIRAUDO lance le débat  sur la question : « Pour écrire la guerre, il faut d'abord la vivre ».



F. AUBENAS souligne d'emblée les changements intervenus depuis une vingtaine d'années. Avant, le journaliste au front avait un brassard qui indiquait sa spécificité et lui conférait un statut de respect et de neutralité. Aujourd'hui, dans les conflits du Moyen-Orient, le brassard vous désignerait comme cible potentielle et vous mettrait en danger. On va difficilement sur place et ensuite, c'est compliqué. Ainsi en Syrie, en 2012, on était accueilli à bras ouverts par les rebelles à Bachar el Assad mais six mois plus tard, les réticences étaient nettes car nous étions accusés de n'avoir eu aucune influence sur leur situation vis-à-vis de l'Occident. Entre temps, l'histoire s'était accélérée et la propagande des belligérants rendait la tâche difficile.





G. MALBRUNOT distingue deux types de guerre au Moyen-Orient. Celle de basse intensité entre Israël et les Palestiniens, facile à couvrir sur un territoire modeste avec peu de risques et un accès facile aux sources. Et celles de haute intensité comme en Afghanistan, en Irak ou en Syrie. Là, on a affaire à une guerre asymétrique de l'armée américaine à des groupes de guérilla avec pour les journalistes des risques d'enlèvement contre rançon et des négociations possibles jusqu'à l'arrivée de DAESH. Le journaliste fait partie de la guerre et son enlèvement, c'est le jack-pot en termes d'argent et de notoriété. Les vidéos sont des armes de guerre, des manipulations pour agir sur l'opinion et la presse, par ses comptes rendus, est une tribune extraordinaire et anxiogène. D'où la responsabilité des journalistes dans cette guerre de communication.

D. PERNOT en contrepoint montre qu'en 1914 la couverture des opérations est organisée par l'armée et qu'elle concerne les journalistes mais aussi les écrivains. Pour ces derniers comme Barrès,  il s'agit de faire œuvre plutôt que reportage. Mais l'armée montre ce qu'elle veut bien montrer, ce qui est une forme de censure et participe du bourrage de crâne . Ce qui pose la question du crédit du témoignage. Comme les correspondances sont surveillées, il est difficile d'atteindre une certaine forme de réalité. Barbusse, après la parution du « Feu »en 1916,a reçu une correspondance importante, beaucoup le remerciant de révéler ce que vivaient leurs enfants, leurs maris ou leurs frères. Surtout, en évoquant une escouade, il montrait que dans ce type de guerre il n'y avait plus de héros individuel.




E. GERMAIN, civil au Ministère de la Défense, excuse dans un premier temps, l’absence du colonel Durieux retenu pour des causes professionnelles. Il évoque la guerre indirecte, celle des « zéro mort » avec les drones pilotés par des acteurs loin du théâtre d'opération et hors de tout danger. Ce qui pose des problèmes d'éthique nouveaux, auxquels il s’intéresse. Il précise que si les pilotes des drones, sont bien loin du champ d’opération, il y a un siècle, la grosse Berta l’était aussi. Ce fut également le moment de la naissance de la guerre sous-marine et de la guerre aérienne. On tire sans voir. Il existe outre les drones, les cybers et les forces spéciales, sans oublier la propagande et le renseignement. On peut parler de guerres dont la violence est loin de nos regards, ce qui pose un problème de contrôle démocratique…

G. MALBRUNOT admet que le héros actuel est le terroriste djihadiste, ce qui joue un rôle dans le recrutement d'autant que les valeurs occidentales sont battues en brèche car, mal mises en avant, elles sont contredites par les victimes collatérales des opérations et des bombardements malgré les frappes dites chirurgicales. Il n'y a pas de guerre propre. D'autre part, la diplomatie est peu lisible car la nôtre, par exemple dans le cas de la Syrie, est dans une posture d'incantation, promettant des armes sans les envoyer et apparaissant comme celle d'un acteur marginal. Brandissant le concept d'ingérence et  la morale comme raison de l'intervention, le message a tendance à être brouillé  et peut être taxé d'hypocrisie. De plus, sur place, les militaires sont réticents aux livraisons d'armes à des rebelles car ils tiennent compte de la situation sur le terrain. Ils se méfient des diplomates. 


D. PERNOT précise qu'en 1914 personne ne s'attendait à cette forme de guerre de tranchées et qu'il était difficile d'avoir une vision globale d'une bataille éparpillée sur un front de 800 km. Les communiqués officiels publiés en première page des journaux ne rendaient pas compte de ce qui se passait réellement. Grâce à Maurice GENEVOIX dans « Sous Verdun » les choses ont pu être dites mais son livre est paru avec des pages blanches du fait de la censure. Si les descriptions de cadavres pouvaient passer, il était interdit de porter atteinte au moral des populations et des soldats, de souligner les dysfonctionnements du système de santé, de critiquer les attaques inutiles. 

F. AUBENAS explique que les journalistes s'autocensurent car il n'est pas question de mettre en danger la vie des combattants. En Syrie, il faut choisir son camp et accepter de ne couvrir qu'une partie de la réalité, par exemple celle d'une rue d'Alep seulement, dans le bruit et la fumée sans aucune idée de ce qui se passe ailleurs pendant plusieurs jours. Nous sommes à hauteur d'homme cette journée-là, en tel lieu, avec des combattants souvent peu aguerris qui peuvent se  partager à deux une kalachnikov.

D. PERNOT souligne qu'autrefois la guerre était déclarée dans les formes et que les guerres avaient un début et une fin, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. 



Quelques questions, surtout posées à F. AUBENAS et à G. MALBRUNOT, terminent cet échange intéressant suivi par une salle bien garnie. 
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Ensuite une réception à la Mairie d'Orléans a permis de commémorer le 60e anniversaire de notre association, dont voici quelques photos. Nathalie Kerrien, chargée de la culture, nous accueillit. Jean Nivet lui répondit… 


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