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L’Académie d’Orléans, l’Asso-ciation Guillaume
Budé et la Société historique et archéo-logique de l’Orléanais s’étaient
associées ce mardi 8 décembre pour commémorer le centenaire de la mort d’Anatole
Bailly, l’illustre Orléanais. Après la visite en l’Hôtel Groslot d’une
exposition préparée par la Médiathèque, le soin de faire revivre l’immortel
auteur du dictionnaire grec-français avait été confié à Jean Nivet, agrégé de
lettres classiques et vice-président de la section orléanaise de l’Association
Guillaume Budé.
En
introduction, le conférencier rappelle qu’un hommage avait été rendu le 18
décembre 1933, notamment par les deux sociétés savantes orléanaises de l’époque
« au savant renommé dans toute l’Europe ». Pour l’hommage présent, il
veut associer à Anatole Bailly, Emile Egger (1813-1885), normalien comme lui,
qui fut son maître et son ami et avait participé à la diffusion des théories
nouvelles venues d’Allemagne sur la science du langage et leurs répercussions
sur la grammaire et l’enseignement des langues anciennes.
La
famille paternelle de Bailly est originaire du Perche, d’un milieu de paysans
et d’artisans. C’est son grand-père qui s’établit à Orléans, rue de la
Bretonnerie, comme marchand de vin et y gagne suffisamment d’argent pour être
électeur censitaire. Son père, directeur des Messageries de diligences Orléans-Paris, franc-maçon, a, d’une liaison avec une couturière, deux enfants, une
fille et Anatole (né en 1833) reconnus lors du mariage en 1837. Dans ses
« Souvenirs d’enfance », Anatole évoque sa vie dans le quartier
Saint-Paterne, la pension où il est initié au grec et le lycée où il obtient le
bac en 1852. C’est alors le départ à Paris pour la pension Favard et le lycée
Charlemagne pour préparer le concours d’entrée à l’Ecole normale qu’il réussit
et où il suit les cours d’Egger. Reçu à l’agrégation, il enseigne à Lyon puis à l’annexe de Vanves de Louis-le Grand et, en 1861, il est
nommé à Orléans au lycée impérial (devenu Pothier en 1924), professeur de 4ème,
chaire qu’il occupera pendant 26 ans sans vouloir changer.
A.
Bailly s’y tient au courant des nouveautés de la linguistique, notamment la
grammaire comparée fondée par l’Allemand Bopp et pour laquelle Egger avait
écrit un manuel d’initiation montrant son apport pour les études littéraires et
les langues anciennes. Le ministre Fortoul l’avait introduite dans les programmes
officiels mais bien des professeurs s’étaient montrés réticents. Cependant, un
groupe de jeunes professeurs orléanais en liaison avec Michel Bréal, fondateur
de la sémantique, s’était donné pour tâche de faire connaître ces nouveautés de
même que celle de la mythologie comparée de l’Allemand Max Müller.
Face aux critiques contre la place du latin et du grec au cœur des
études, Bailly pense que le discrédit vient des méthodes d’enseignement et il
obtient du ministre Duruy l’arrêt du « Jardin des racines grecques » (en
vers, s’il vous plaît!) datant de Port-Royal. En 1869, il publie un « Manuel pour l’étude des racines
grecques et latines », le premier à diffuser dans les lycées « les
travaux étymologiques de nos maîtres », puis une « Grammaire grecque »
en 1872. Avec Bréal auteur d’un ouvrage important sur l’instruction publique,
il défend une autre manière d’enseigner le latin en remplaçant la mémoire par
l’explication pour entrer dans une nouvelle façon de penser et de parler. Le
ministre Jules Simon la propose mais suscite une levée de boucliers de la part
des professeurs. Bailly est accusé par Mgr Dupanloup de vouloir « le
nivellement démocratique de l’esprit français ». En application de la
réforme de Jules Ferry, il fait paraître avec Bréal quatre ouvrages scolaires
intitulés « Les Mots groupés d’après l’étymologie et le sens »,
un concernant les mots grecs et trois les mots latins.
La
gloire de Bailly est évidemment l’élaboration de son Dictionnaire grec-français dont l’idée est lancée en 1876 par la librairie Delagrave, reprise et
mise à exécution ensuite par Hachette. Il est aidé pour la mise en fiches par
son fils et Egger mais à la mort de ces deux hommes il se retrouve seul. Le
report d’Hachette lui permet de tout remettre sur le métier pour intégrer les récentes
découvertes philologiques et mythologiques. Pour achever ce gros travail, il
demande sa retraite anticipée en 1887 et la première édition (2226 pages sur 3
colonnes) peut paraître en 1894, représentant 20 ans de travail. Pendant 17
ans, dans plusieurs éditions, il perfectionnera son ouvrage, reçu de manière
très élogieuse. Il meurt à sa table de travail dans sa petite maison de la rue
Bannier le 12 décembre 1911 et il est inhumé au grand cimetière où sa tombe est
aujourd’hui en grand danger.
Toute sa vie, Anatole Bailly a été très attaché à sa ville natale, qui
elle-même était fière de son grand homme, coopté par les deux sociétés savantes
locales. C’était un bon professeur, enseignant avec ordre et méthode. Comme
dérivatif à ses travaux, il composa de la poésie, dessina et écrivit même un
roman à l’eau de rose. C’était un homme modeste, manquant de confiance en lui,
ayant toujours besoin d’être rassuré, encadré. Grand travailleur, érudit, il
avait une vive intelligence de la grammaire et il a esquissé ce qui allait
devenir la sémantique.
Par
une longue salve d’applaudissements la
salle, captivée, salue à la fois la riche et remarquable conférence de Jean
Nivet et la grande figure orléanaise que fut Anatole Bailly.
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